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Agone n° 10 - pdf - Atheles

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Ce que chuchote le serpent est donc le fini de la nécessité logique et physique. Le démon de la<br />

désobéissance l'engage à concevoir ce qu'il en serait sans la Nécessité. Imaginons Fondane en ce jeune homme<br />

véhément, pauvre et souriant, traînant dans Paris avec Artaud, Cioran, Vitrac ou Lupasco, d'autres ratés en<br />

somme, en compagnie de ces émigrés pauvres qui apprennent le français pour écrire, suivent les cours de<br />

Bachelard à la Sorbonne, dévorent les livres et déménagent sans cesse avec fierté. Par eux, cette révolte contre<br />

l'Anankê vient de Russie, elle arrive de Dostoïevski, de Pouchkine et de Tolstoï, de Rosanov, de Berdaïeff, du<br />

conflit sans merci que se sont livrés en terre russe la raison idéaliste et l'exigence de penser l'expérience<br />

mystique de Dieu. Cette façon de gémir et de crier les vérités, de vivre jusqu'au bout les antinomies de la<br />

condition humaine, d'exulter dans le tragique, de se brûler l'âme aux flammes d'une passion dévorante, qui est<br />

très peu française, se reconnaîtra chez Baudelaire et Rimbaud, d'autres exilés. « Selon que la balançoire est au<br />

vertige et qu'elle nie espace, temps, nécessité, ou qu'en sa trajectoire elle rase la terre et se pénètre des vieilles<br />

évidences du serpent, Kierkegaard pensera l'idée vertigineuse qu'il faut recourir à la vertu prodigieuse de<br />

l'absurde (<strong>10</strong>). »<br />

La conscience malheureuse<br />

Certes, il n'était pas facile de faire de la conscience le malheur par excellence. Cela avait de quoi faire hurler<br />

les défenseurs de la noblesse de l'Esprit, de la Conscience de soi, de la Lumière naturelle « qui fit d'un être<br />

stupide et borné un être intelligent et un homme », pour reprendre les termes du Contrat social. Le malheur de<br />

la conscience n'est pas seulement dans l'acte de connaissance qui réalisesa douleur, mais aussi dans le<br />

déchirement entre les possibles et le réalisable, entre l'idéalité et la vie réelle, entre la révolte du droit et les<br />

murs qui l'enferment. Kierkegaard avait nommé cela le désespoir. Exister, c'est vivre le contradictoire.<br />

Fondane se réfère aussi bien à Nietzsche qu'à Kierkegaard, à l'idéalisme diagnostiqué dans le ressentiment<br />

contre la vie, né de la dialectique de Socrate, à partir duquel la conscience de soi apparaît supérieure au fait de<br />

vivre. Si le désespoir et l'angoisse révèlent que l'homme est, sans remède, une synthèse de fini et d'infini que<br />

Kierkegaard parcourt du stade esthétique au stade éthique et du stade éthique au stade religieux, Nietzsche<br />

suggère que la volonté, le moi, le libre arbitre, la vérité sont des interprétations de la réalité faite de continuum<br />

d'intensité et de forces.<br />

Au même moment, l'ontologie de Sein und Zeit de Heidegger se répand et suscite la méfiance de Fondane<br />

qui y voit la négation de l'existant au profit d'une analyse de l'Être. Quoi qu'il en soit, il s'agit bien, somme<br />

toute, d'évaluer la raison. Fondane définit sa position en 1932 dans les Cahiers du Sud, à l'occasion de la<br />

parution de Qu'est−ce que la métaphysique ?, traduction de la leçon inaugurale de Fribourg prononcée par<br />

Heidegger en 1929. Il se réjouit et se méfie d'un Heidegger officiel qui reprend, « sur une chaire d'État, les<br />

problèmes posés et lancés par les grands pirates de l'esprit, qu'elle prenne sa source même dans les principes<br />

soulevés par ces hors−la−loi ». Les analyses heideggeriennes du Souci, de l'Angoisse et du Néant révélé par<br />

l'angoisse ne sont−elles pas la caution, par un grand disciple de Husserl, de l'existentialisme de Chestov (11) ?<br />

Le Néant, concept dont le référent est impossible pour un positiviste, retrouve sa dignité prélogique comme<br />

corollaire de l'Angoisse. Il y avait de quoi fasciner Fondane et lui donner espoir : ce que vivait la conscience<br />

personnelle n'était donc pas définitivement frappé de psychologisme. Mais Heidegger reprend la perspective<br />

de l'Être à partir de « l'irruption d'un être appelé homme dans la totalité de l'Être ». Quoi que l'on puisse<br />

penser de cette interprétation, elle témoigne de ce que Fondane veut saisir la conscience comme point d'appui<br />

pour la révolte tandis que Heidegger en fait une modalité ontologique soumise au dévoilement. « Il veut<br />

absolument sauver la connaissance, commandé par une peur qu'il maîtrise difficilement. » Au vrai, Heidegger<br />

n'ose pas franchir le saut de l'homme du souterrain de Dostoïevski, il espère encore dans le dévoilement de<br />

<strong>Agone</strong> <strong>10</strong> 3

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