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Agone n° 10 - pdf - Atheles

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se voir refoulés.)<br />

Quant à la première remise de prix littéraire à laquelle j'ai assisté, elle eut lieu dans les locaux nouvellement<br />

réaffectés de la Séita, à la Belle de mai −− les noms des organisateurs, comme ceux des lauréats, doivent être<br />

absolument oubliés de tous. S'il y a dans les plus prestigieuses remises de prix quelque chose de l'indécence<br />

d'une mise en scène pour imbéciles perpétuée par des rentiers infatués, celle−ci fut tendrement ridicule. Elle<br />

me permit toutefois de rencontrer certains des héritiers des Cahiers. (Je reste encore étonné d'avoir mis si<br />

longtemps à découvrir l'existence de cette véritable institution à Marseille : Sud−− Revue littéraire. Mais<br />

peut−être sont−ils meilleurs prophètes ailleurs.) Le modérateur et l'un des trois intervenants appartenant à<br />

cette triste troupe, les désaccords qui apparurent au détour des questions pourtant les plus convenues ont été<br />

vite étouffés. Mais le bien était fait : j'avais découvert leur existence −− et il ne me fallut pas attendre plus de<br />

quelques jours pour que le tableau soit complété.<br />

C'est dans la magnifique salle de réception du palais du Pharo que fut décerné le dixième prix Jean Malrieu<br />

par la Société marseillaise de crédit, mécène de Sud. J'y retrouvai bien sûr l'hiératique directeur (que nous<br />

appelons depuis entre nous « Foie jaune », en référence au croque−mort de Lucky Luke), mais également mon<br />

maladroit modérateur qui ne put cacher sa surprise en m'apercevant ; et enfin, son très sérieux acolyte −−<br />

certainement un enseignant du secondaire. La salle était comble, et les personnes qui arrivèrent en retard<br />

durent patienter debout le moment du buffet.<br />

On dit qu'à Marseille, la vieille bourgeoisie, issue des industries du savon, de l'huile et des armateurs de la<br />

grande époque des colonies, se cache −− il s'agit bien sûr de ceux qui sont restés, la majorité, ce fait est bien<br />

connu, ayant déserté la ville, voilà quelques années, avec armes, bagages et capitaux pour des cieux plus<br />

lucratifs. La SMC n'avait dû inviter que ses meilleurs clients et sans doute quelques collaborateurs. La foule<br />

était étonnamment en harmonie avec la salle : d'un autre temps, la décoration fastueuse avait été restaurée sans<br />

pudeur mais, sous les dorures, les fissures commençaient déjà à reparaître. Je ne peux m'empêcher de sourire<br />

en revoyant certains invités espérer, inquiets, à la sortie de la réception, l'aide de leur chauffeur pour retrouver<br />

leurs voitures parmi les dizaines d'autres identiques.<br />

La tribune était disposée sous un immense portrait en pied de Napoléon le petit. Nous étions quatre<br />

étrangers, assis sagement côte à côte, vers le fond. Foie jaune ouvrit la séance. Si je n'avais que quelques mots<br />

pour qualifier le lauréat, un médecin belge, je dirais qu'il a érigé l'aphasie en style poétique. Sa prestation, tête<br />

baissée et remerciante, fut brève. Foie jaune reprit la parole pour expliquer qu'une rallonge de la SMC leur<br />

avait nouvellement permis de décerner deux prix supplémentaires à des poètes étrangers : un Portugais et un<br />

Espagnol se sont terriblement succédé avec leurs traducteurs et éditeurs −− l'ensemble se remerciant et se<br />

congratulant à grands frais de mots creux, même à cette distance. La chaleur refluait, les lectures n'en<br />

finissaient pas, vint l'ennui. Des hôtesses réussirent à éviter que des syncopes se propagent dans la salle en<br />

ouvrant avec difficulté les très anciennes portes−fenêtres. Quelqu'un signala soudain l'arrivée du<br />

correspondant à Marseille de France−Culture : un gros homme essoufflé aux jambes courtes qui faillit nous<br />

faire perdre contenance quand, parvenu à notre hauteur, nous vîmes un pan de sa chemise blanche jaillissant<br />

en pointe de la braguette entrouverte de son pantalon.<br />

<strong>Agone</strong> <strong>10</strong> 2

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