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Les Cahiers du Sud−peuvent−ils alors passer du stade artisanal à celui d'une véritable entreprise de presse ?<br />
Des amis de Ballard, Charlot entre autres, l'y poussent. Lui−même y songe sans doute sérieusement. Il faut de<br />
toute façon redémarrer sur de nouvelles bases, avec de nouveaux collaborateurs. La mort de Bertin, sans doute<br />
une des rares personnalités, en l'absence d'un véritable conseil de rédaction (17), à jouer un rôle dans le<br />
fonctionnement de la revue, la nécessité de trouver de nouveaux appuis financiers imposent en tout cas des<br />
changements importants.<br />
Ballard, libéré de ses obligations professionnelles, a sûrement alors de grandes ambitions. Mais le choix<br />
qu'il fait de maintenir à Marseille le siège de la revue, les appuis qu'il va trouver ou retrouver auprès des<br />
entreprises locales, les habitudes prises, tout converge vers un maintien des anciennes structures. Il reste non<br />
seulement directeur−gérant (comme il s'intitule) des Cahiers, mais, plus que jamais sans doute, l'animateur<br />
indispensable de l'entreprise. Disposant désormais de tout son temps, il peut se déplacer plus facilement,<br />
assister aux réunions où il peut rencontrer des relations « utiles » pour le financement des Cahiers, multiplier<br />
les visites préparées par des intermédiaires efficaces, à Paris ou en Afrique du Nord. Il parvient ainsi à<br />
poursuivre la publication de la revue, à augmenter son tirage et sa diffusion, à lui donner une place enviée<br />
dans le monde littéraire. Mais on a parfois l'impression d'une agitation frénétique, qui prend de plus en plus de<br />
temps pour des résultats relativement médiocres. Ballard avait envisagé pendant la guerre de créer un véritable<br />
« mouvement d'édition qui permettrait de retenir » les meilleurs des collaborateurs des Cahiers (18). Il est au<br />
contraire obligé en 1957 de renoncer à éditer des livres à tirage limité qui ne pouvaient paraître que grâce aux<br />
sacrifices de la revue.<br />
L'augmentation des dépenses que nous avons soulignée ne peut en effet être compensée que par des recettes<br />
nouvelles provenant de trois chapitres : un nombre plus élevé d'abonnements, des subventions du secteur<br />
public (à commencer par l'État) et une croissance des ressources publicitaires. Passons sur les abonnements,<br />
dont l'importance varie en grande partie en fonction des appuis ministériels. Restent les aides publiques,<br />
forcément limitées et difficiles à entretenir pour une publication provinciale, et surtout la recherche des<br />
annonceurs privés, qui s'identifie à cette « tâche quotidienne incessante de propagande et de<br />
prospection (19)», dont les résultats s'amenuisent, il faut bien le dire, dans les années soixante. Le déclin des<br />
Cahiers a déjà commencé.<br />
Vieillissement de l'homme et de l'entreprise à laquelle il s'est identifié ? Attachement à « une formule<br />
dépassée » (Ballard lui−même emploie cette expression) ? On se gardera d'un jugement sans nuances. Et on<br />
s'étonnera plutôt de la longue durée de cette « aventure solitaire ». L'oeuvre de l'artisan est fragile par<br />
essence ; car elle s'épuise et s'arrête avec lui. Mais, si l'artisan est de qualité, l'oeuvre peut encore lui survivre.<br />
Notes<br />
1. Lettre de Ballard à Laporte du 27 juillet 1938, dossier Résidence générale de Tunisie. « Le mandat doit être<br />
établi au nom de Jean Ballard, publiciste. »<br />
<strong>Agone</strong> <strong>10</strong> 5