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Agone n° 10 - pdf - Atheles

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Malgré les calques surréalistes, qui, superficiellement, décorent généralement notre poésie la plus moderne,<br />

qu'est−ce que trop souvent un poème aujourd'hui ? Un très mince état d'âme, et, dans le meilleur des cas, une<br />

addition d'impressions photographiées linguistiquement avec brio, par des procédés raffinés. [...] Une<br />

juxtaposition d'impressions si bien isolées par leur propre analyse, qu'on aboutit à la dissolution de leur sujet :<br />

d'un sujet qui pourtant existe, dont ils sont partis ; d'un sujet nettement situé en dehors d'eux−mêmes, en plein<br />

monde extérieur. Une véritable phénoménologie de la sensation poétique aboutit à vouloir que le poème<br />

dissimule son sujet : c'est alors une espèce de bulle savonneuse, à la surface de laquelle on pourrait apercevoir<br />

l'univers si l'on connaissait à la fois la géométrie des sphères et la physique des lames minces : le miroir<br />

poétique, à force de décomposer la lumière, a fini par dérober la vision du sujet, qui est aussi l'objet. [...]<br />

Voici, tiré de Pour un théâtre olympique, un poème intitulé<br />

Réalité profonde<br />

« La grenaille à l'infini brille jusqu'à couvrir de réalité profonde les jalons tranquilles du passé. Un<br />

prisonnier s'écoute boire dans la maison sans fontaine où l'eau s'invente comme le silence au milieu du vent ;<br />

il traverse la grenaille et prend pour de réelles victoires les chevelures en robe de veines qui coulent sur les<br />

perrons de la place. C'est pourquoi heureux comme une image, il saisit à pleins doigts la poussière surprise qui<br />

lui vient des yeux. »<br />

Il y a dans ces dix lignes une science consommée de toutes les ressources de notre langue, un miroitement<br />

de mots fascinant. Mais quoi ? c'est une succession de notes dans le journal intime du poète, elliptiques,<br />

allusives, impropres à la consommation poétique. Je suis certain que dans la tête du poète il y a la clé de ces<br />

dix lignes, avec tous ses souvenirs à lui d'un voyage à Vicence en 1952... Ce « prisonnier qui s'écoute boire<br />

dans la maison sans fontaine où l'eau s'invente comme le silence au milieu du vent », peut−être qu'un rien<br />

suffirait à faire qu'il soit une invention claire, étonnante de force communicative. « Les chevelures en robe de<br />

veines qui coulent sur les perrons des places » ne me choquent pas non plus, je les vois, les marches de marbre<br />

veiné d'un escalier très ancien, translucides, presque immatérielles à cause de la lumière. Le texte l'a dit. Mais<br />

je n'en suis pas plus riche, je ne suis pas chasseur d'images séparées. J'aime les poèmes. Mais le poète ne<br />

pourra pas s'obstiner dans l'attitude de ces personnes charmantes, dissertes, mais qui ne finissent pas leurs<br />

phrases, et quand elles s'arrêtent, nous disent, l'air pénétré : je me comprends. Je suis sûr que le poète se lit,<br />

qu'il se relit même : il est à l'intérieur de sa propre histoire, il revoit en même temps que chacun de ses mots<br />

l'ensemble des circonstances qui l'a fait choisir. Mais moi, je suis le lecteur, je suis dehors, je frappe à la porte.<br />

Je ne conteste pas au poète le droit de prendre des notes illisibles pour tout autre. Mais les publier, c'est un<br />

autre acte.<br />

(« Le martin−pêcheur », Cahiers du Sud, 321, 1954.)<br />

Sur les néologismes :<br />

<strong>Agone</strong> <strong>10</strong> 9

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