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Agone n° 10 - pdf - Atheles

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Pacifique dont la plus grande partie a d'ailleurs été léguée aux musées de Marseille. Guerre me fascinait. Il<br />

était en mesure de discuter pendant des heures sur n'importe quel sujet....<br />

Ballard entretenait des relations régulières avec ses collaborateurs les plus éloignés de Marseille. Il<br />

correspondait avec Gabriel Audisio, le grand homme de la Méditerranée ; avec Joë Bousquet de Perpignan,<br />

qu'une blessure immobilisait ; avec Louis Brauquier, qui menait une vie de fonctionnaire colonial aux<br />

messageries maritimes et qui, de passage à Marseille, apportait aux Cahiers ses derniers poèmes sur les<br />

escales, les amis disparus et la mer.<br />

Mais Ballard n'était pas seul à diriger les Cahiers du Sud. Marcelle, son épouse, une jolie femme blonde aux<br />

yeux clairs, l'aidait considérablement. Elle s'occupait du secrétariat alors que lui se chargeait principalement<br />

des envois et de la prospection publicitaire. À eux deux, ils abattaient un travail énorme. Marcelle Ballard était<br />

à la fois la soeur, la mère, la tante et la copine de toute l'équipe. Elle nous invitait de temps en temps chez eux,<br />

de l'autre côté du cours −− car les Ballard habitaient pratiquement en face du siège de la revue. En quelques<br />

enjambées, on passait de la bohème des Cahiers à un appartement spacieux, aux tapis colorés étalés sur du<br />

marbre, et on évoluait là−bas un peu comme dans un sanctuaire. Je revois encore Ballard, chez lui, avec sa<br />

robe de chambre et son foulard de soie. Tout petit, dressé sur ses ergots, le cheveu blanc un peu à la Einstein,<br />

les lunettes en arrière, le regard impérieux sous un grand nez pointu, un ton de voix un peu maniéré. Toujours<br />

très soigné, même quand son apparence semblait négligée, son élégance me faisait penser aux seigneurs à<br />

talons rouges. Un homme agréable aux conversations passionnantes, mais un peu redouté à cause de son<br />

humour acide et de ses idées sulfureuses.<br />

Et le jour vint où Ballard m'interpella : « Dites−moi, jeune homme ! Vous qui nous écoutez à longueur de<br />

temps, il faudrait nous aider ! Est−ce que vous accepteriez d'écrire un article sur la chance ? » C'est ainsi que<br />

débuta ma collaboration aux Cahiers du Sud. En dehors de la partie solide de la revue, qui accueillait des<br />

textes de Breton ou de Saint−John Perse avant qu'il ne soit primé, il y avait ce que Ballard appelait les<br />

« liminaires », les « frontispices » ou encore les « cahiers extérieurs ». Ces derniers respectaient la tonalité<br />

intellectuelle et recherchée des Cahiersmais traitaient de sujets plus terre à terre. La plupart d'entre eux, qui<br />

étaient inspirés par des mécènes, n'étaient autre chose que de la publicité déguisée. Les principaux bienfaiteurs<br />

des Cahiers se recrutaient parmi les compagnies maritimes, les banques et la loterie nationale. De là, la<br />

proposition que me fit Ballard... Quelquefois aussi, lorsqu'il avait un point de vue à défendre mais qu'il<br />

manquait de temps pour écrire, il me demandait de traiter des sujets plus pointus. Je me souviens notamment<br />

avoir rédigé des articles sur la Méditerranée à l'époque où Braudel était encore enfermé dans ses recherches.<br />

J'ai également travaillé sur la Camargue, cet espace naturel où le flux et le reflux incessants de l'eau modifient<br />

constamment le paysage. La plupart du temps, ces sujets annexes n'étaient pas signés. Ils faisaient partie de la<br />

production « courante » des Cahiers du Sud, et c'était un honneur pour moi que de voir parfois figurer mon<br />

nom.<br />

Entre le siège de la revue, son appartement et le bureau des peseurs−jurés, j'avais l'impression que Ballard<br />

ne quittait jamais le quartier du Vieux−Port. Pourtant, je savais qu'il entretenait une vie mondaine et<br />

participait à des réceptions officielles qui le conduisaient vers d'autres lieux. Mais si on parlait de lui dans Le<br />

Monde, Le Figaro littéraire et à l'étranger, Ballard n'était pas dupe : il savait que beaucoup ne le soutenaient<br />

que par solidarité marseillaise... Originaire de la classe moyenne, la grande bourgeoisie ne le tolérait que grâce<br />

<strong>Agone</strong> <strong>10</strong> 3

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