Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
<strong>Agone</strong> <strong>10</strong><br />
Une petite histoire littéraire<br />
Senez Jacques Charles<br />
Une petite histoire littéraire<br />
Mémoires<br />
« L'autobiographie, disait Mallarmé, est la majoration devant tous du spectacle de soi. » Mais trop fouiller sa<br />
mémoire et son subconscient pour donner de soi une bonne image revient à ouvrir une boîte de Pandore dont<br />
on ne peut prévoir ce qui va en sortir.<br />
C'est en 1933, pendant le concours d'externat que je me liai d'amitié avec un autre candidat dont je fis la<br />
connaissance en déambulant dans les galeries de l'hôpital, pendant que nous attendions la proclamation des<br />
résultats. Marcel Raynaud avait été admissible à l'École normale sciences de la rue d'Ulm, ce qui lui avait valu<br />
une bourse d'étude. Il avait entrepris des études médicales avec la ferme intention de faire une carrière<br />
scientifique à l'Institut Pasteur, ce qu'il réalisa d'ailleurs. La sympathie entre nous fut immédiate. Tous deux,<br />
nous avions la même frénésie de lecture. Prodigieuse époque où, chaque mois, paraissait à la vitrine des<br />
libraires un nouveau livre de Gide, de Céline, de Mauriac ou de Martin du Gard, une nouvelle traduction<br />
d'Hemingway, d'Aldous Huxley ou de Thomas Mann. Nos auteurs préférés étaient Malraux et Jules Romains.<br />
La Condition Humaine et Les Hommes de bonne volonté nous exaltaient et nous nous identifions aux<br />
révolutionnaires de Changhaï et à Jallez et Jerphanion se préparant, dans leurs thurnes de l'École normale, à<br />
changer la face du monde. Décevant et lamentable destin de ces deux écrivains qui, après avoir donné à toute<br />
une génération, la nôtre, le goût de la révolte et des raisons de la colère, s'en sont par la suite lavé les mains,<br />
comme Pilate, et ont descendu tous les degrés conduisant aux honneurs.<br />
La faculté de médecine occupait alors le palais de l'impératrice Eugénie au Pharo, dans un site grandiose,<br />
mais encore plus balayé par le mistral que la faculté des sciences. On y dominait l'entrée du Vieux−Port,<br />
enjambé par l'extravagant pont−transbordeur, dont tant de musées dans le monde conservent l'image.<br />
Il y avait quelques années seulement que la très ancienne École de médecine illustrée sous Néron par Crinas<br />
et par Charmis avait enfin accédé au rang de Faculté autonome, se libérant ainsi de la tutelle montpelliéraine.<br />
Cette promotion tardive est une lointaine conséquence de la première et la plus fatale des erreurs politiques<br />
dont Marseille a été coutumière pendant toute sa longue histoire. Lors de la guerre civile entre César et<br />
Pompée, elle choisit le mauvais camp, et César la fit assiéger, sans succès, par un de ses lieutenants. Mais,<br />
<strong>Agone</strong> <strong>10</strong> 1