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<strong>Agone</strong> <strong>10</strong><br />
Benjamin Fondane le révolté<br />
Salazar−Ferrer Olivier<br />
Benjamin Fondane le révolté<br />
« La métaphysique ne peut être la pensée d'un homme qui a peur des coups, mais la pensée d'un homme que le<br />
réel offense, que la nécessité blesse, que la finitude humaine remplit de colère et de révolte. »<br />
Fondane, La Conscience malheureuse.<br />
Biographie pour une oeuvre introuvable<br />
Les destinées les plus puissantes ne se séparent pas de leur oeuvre mais s'unissent à elle dans un rapport<br />
intime d'expression et de sens. Pour ces destinées, réussir, à certains égards, c'est se faire oublier. Ne nous<br />
plaignons pas que cette oeuvre soit introuvable : la solitude lui plaît certainement. Son auteur, de son vivant,<br />
n'a rien fait pour être célèbre ou accessible. À vrai dire, il s'en moquait éperdument.<br />
Benjamin Fondane, de son nom Benjamin Wechsler, fait partie de ces émigrés roumains qui ont adopté le<br />
français, comme Cioran, Ionesco, Panaït Istrati ou Tristan Tzara. Issu d'une famille juive de lettrés pauvres, il<br />
se sait poète très jeune. Ses premiers poèmes, très imprégnés de culture juive, déploient un univers très<br />
« chagallien » influencé par la simplicité religieuse du hassidisme. Critique dans de nombreuses revues de<br />
Bucarest, brillant auteur de théâtre avant−gardiste, Fondane émigre en France en 1924 (1). Au cours des<br />
années de bohème, il rencontre Chestov, dont l'amitié et l'oeuvre philosophique le marqueront entièrement (2).<br />
Ce poète étranger arrivé pauvre à Paris va lire tous les classiques : Platon, Aristote, Plotin, saint Thomas et<br />
Husserl, tout en travaillant dans une compagnie d'assurances. Dès 1932, il prête sa plume impétueuse et<br />
ironique aux Cahiers du Sud, multipliant les Chroniques, lisant tout, prenant acte de l'épistémologie<br />
bachelardienne, de la théologie de Karl Barth, de la pensée de Heidegger, diffusant la pensée de Chestov et de<br />
Kierkegaard. Dès 1933, son oeuvre devient plus dense : Rimbaud le voyou (1933), dirigé contre les<br />
surréalistes, est salué par Benedetto Croce, Joë Bousquet, Jean Cocteau. Employé comme assistant et<br />
scénariste par la Paramount, Fondane ronge son frein, publie Ulysse (en 1933) puis part en Argentine réaliser<br />
un film que le producteur ne distribuera jamais. Jean Ballard, le directeur des Cahiers du Sud, est à l'origine<br />
d'une collecte d'argent qui paie sa nationalisation française et le met à l'abri des tracasseries<br />
administratives (3). En 1940, mobilisé, prisonnier, puis relâché, Fondane retourne vivre à Paris avec sa soeur<br />
Line dans son appartement de Sainte−Geneviève et y travaille en méprisant le danger. Arrêté en mars 1944<br />
avec sa soeur, Fondane refuse de la quitter lorsque sa femme Geneviève obtient une libération pour lui seul en<br />
qualité d'époux d'une femme aryenne. Stéphane Lupasco le décrit alors une dernière fois, à la préfecture de<br />
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