23.06.2013 Views

Agone n° 10 - pdf - Atheles

Agone n° 10 - pdf - Atheles

Agone n° 10 - pdf - Atheles

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Fondane reconnaît que si l'expérience mystique est représentative par excellence de l'individualité de<br />

l'expérience, « elle est incommunicable ». La conscience ne se rend−elle alors pas malheureuse elle−même ?<br />

À bien des égards, l'expérience poétique offrait la promesse que le mysticisme ne pouvait tenir. « Ce monde<br />

assis par le philosophe sur une Raison, un Esprit, un Logos immuable, déraille toutes les nuits sur un principe<br />

d'indétermination, sur un tremblement de terre conçu et posé par le poète. » La révolte métaphysique<br />

conduit−elle donc seulement à la poésie, alma mater de la conscience malheureuse ? Fondane ne pourrait pas<br />

l'accepter : plus rapide, plus englobante, plus critique est l'activité restitutrice de la « pensée existentielle ». À<br />

l'instar de la Docte ignorance de Nicolas de Cues, Fondane en appelle à un dépassement de la logique : il<br />

« doit tuer l'explication, l'édification, l'éthique, la preuve ». Suicide logique ? Camus l'affirmera avec une<br />

grande lucidité dans Le Mythe de Sysiphe. Il est plus intéressant ici de se demander qui attaque Fondane, ceux<br />

qu'il ne veutpas être : un expert du commentarisme, un docteur ès dogmatisme. « Une révolte en plein air, cela<br />

se conçoit ; une offense en plein air, également. Eh bien, pourquoi pas une philosophie de la révolte, de<br />

l'offense (15) ? » Ici encore, pour reprendre Nietzsche « le charme qui combat pour nous est au premier chef<br />

une magie de l'extrême, la séduction qu'exerce tout extrême (16) ». Mais la révolte contre le principe de<br />

non−contradiction jaillit de la coïncidence des contradictoires dans la vie : comme pour Rimbaud, comme<br />

pour l'homme du souterrain de Dostoïevski, le rêve de franchir le logos hors de l'autorité de l'esprit pour<br />

atteindre la liberté libre est en marche.<br />

Les fruits de la révolte<br />

La révolte est le refus d'un état de fait sous la pression impétueuse de l'intuition d'un droit. Dire « non », là<br />

où chacun attendrait « oui », et le défendre au risque de sa vie. Mais la révolte métaphysique refuse les limites<br />

assignées par la raison à notre réel : il lui faut donc nier l'interdit de la contradiction et l'impossible qui en<br />

résulte. Pour lui, la contradiction n'est plus le signe d'un impossible ontologique. Cette révolte, il l'étend même<br />

aux limites temporelles, à l'irréductibilité de son cours, au « jamais plus » de la flèche du temps qui l'emporte<br />

vers le futur sans retour. Ce qui se profile au terme du refus, c'est la révolte contre la mort et sa conséquence,<br />

la révolte contre la vie qui doit mourir.<br />

Comme Kierkegaard, il exige la répétition de ce qui a été. Il exige justice, non seulement pour le futur, mais<br />

aussi pour le passé. Cette exigence est−elle autre chose qu'une folie méthodique ? Assurément, elle semble<br />

aller plus loin même que les délires psychotiques en exigeant la dissolution du principe de contradiction :<br />

refuser la nécessité, ce que Fondane nomme à plusieurs reprises la « contrainte policière de la raison ».<br />

Peut−on concevoir révolte plus radicale ? On comprend que la question des limites de la révolte préoccupe<br />

peu Fondane qui, comme l'alpiniste enchanté du paysage vertigineux qui s'étend à ses pieds, méprise la<br />

hauteur d'où il pourrait choir. C'est la question des droits de la révolte qui s'impose plutôt à lui. Il n'y a aucune<br />

hésitation : il faut aller le plus loin possible dans l'usage de notre droit de refus. Qu'y a−t−il après la révolte ?<br />

Peut−être rien. Comment ? Ses fruits seraient ils imaginaires et stériles ? C'est mal voir. Ce que la révolte<br />

apporte, c'est ce qu'elle n'est pas par la vertu de sa joyeuse espièglerie face à tous les dogmatismes, qu'elle<br />

arraisonne et coule comme un pirate métaphysique. L'acte de refus qui est le sien a la valeur de ce qu'il<br />

empêche d'être : les monstruosités du rationalisme déshumanisant. La négation nous restitue à la vie, rafraîchit<br />

le monde en nous. « Autre chose commence qui n'est ni l'Esprit, ni le Logos. Le voici. Ce ne sera pas la<br />

"perception" laborieuse de quelque chose. Ce sera quelque chose que nous saisirons immédiatement−− ou le<br />

RIEN (17).»<br />

<strong>Agone</strong> <strong>10</strong> 5

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!