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obligé de rappeler à certains de ses débiteurs que les chèques doivent être libellés à son nom pour pouvoir être<br />
encaissés... (1)<br />
Ne nous y trompons pas cependant. Cette confusion n'est pas nécessairement favorable à Ballard, car<br />
l'équilibre financier de la revue est singulièrement fragile. « Ce n'est un secret pour personne..., écrit−il en<br />
janvier 1937, que les Cahiers ont vécu très péniblement et n'ont enrichi personne (2). » S'il trouve quelques<br />
avantages à cette gestion excessivement personnalisée de l'entreprise, il en subit aussi tout naturellement le<br />
contre−coup. Il suffit d'un accident de santé du directeur pour que la machine s'arrête de tourner !<br />
On ne reviendra pas sur la période héroïque, où les collaborateurs de Fortunio se transformaient en<br />
actionnaires, où l'on recrutait des lecteurs essentiellement parmi les proches connaissances et des annonceurs<br />
occasionnels parmi les fournisseurs (3). Ce n'étaient là que des solutions de fortune, des formules d'amateur<br />
sans grand avenir. Non que ces aspects disparaissent totalement dans l'entre−deux−guerres. Mais le produit<br />
mis sur le marché à partir de 1925 est d'une autre qualité que dans les premières années, les ambitions de<br />
l'« artisan » qui en assume la responsabilité d'une tout autre envergure que par le passé. S'il n'est toujours pas<br />
question pour Jean Ballard de vivre de son entreprise (il n'abandonnera son activité de peseur−juré qu'en<br />
1944, donc à plus de cinquante ans), il lui faut trouver les ressources nécessaires pour imprimer dans des<br />
conditions convenables, pour diffuser ensuite les Cahiers, et, plus simplement, pour faire face aux nécessités<br />
du quotidien.<br />
Malgré l'importance de la correspondance commerciale et l'abondance des pièces comptables, il n'est pas<br />
commode d'apprécier le coût exact de l'impression de la revue, ne serait−ce qu'en raison de la constante<br />
variation du nombre de pages et du nombre d'exemplaires tirés d'un numéro à l'autre. Ce qui est certain, c'est<br />
que les conditions financières acceptées par l'imprimerie Mistral installée à Cavaillon sous la direction de<br />
César Sarnette sont très avantageuses, et que les règlements des factures s'opèrent parfois avec beaucoup de<br />
retard. « Si les Cahiers existent, reconnaît Ballard en 1937, c'est grâce à leur imprimeur, aux lourds sacrifices<br />
qu'il a consentis dès le début pour assurer leur impression, car il ne fait aucun doute que les Cahiers ne<br />
peuvent songer à se faire imprimer que chez Sarnette (4).»<br />
Une telle collaboration, qui s'est prolongée pendant deux décennies, ne va pas sans entraîner des discussions<br />
et parfois des récriminations. Ballard proteste à plusieurs reprises contre les retards, les oublis qui<br />
compromettent la mise en vente de la revue à la date prévue. Il reproche même, à propos du numéro de<br />
novembre 1938, la « médiocrité de l'impression (5)». « Il faut, dit−il, revenir à une autre conception du<br />
travail. » En revanche Sarnette, se plaint des « impayés », qui s'accumulent lorsque les circonstances<br />
deviennent particulièrement délicates. Ainsi, au moment où la mobilisation de Ballard (en 1939) menace<br />
d'interrompre la parution des Cahiers, le ton devient assez vif. Les protestations de bonne foi s'accompagnent<br />
alors de remarques acerbes : « Je suis comme toi, écrit Ballard, en butte aux vicissitudes du temps... J'ai les<br />
meilleures intentions à ton égard et t'affirme que tu seras payé. Je ne crois pas, au cours de nos vingt années,<br />
t'avoir manqué de parole une seule fois, tandis que tu m'as fait tirer la langue 99 fois sur <strong>10</strong>0, et empêché par<br />
tes retards les Cahiers d'atteindre le développement auquel ils avaient droit (6).»<br />
<strong>Agone</strong> <strong>10</strong> 2