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Agone n° 10 - pdf - Atheles

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« Comment t'eussé−je édifié une sagesse, une connaissance, une métaphysique − tant que la mort est là et que<br />

nous ne sommes pas des dieux ? »<br />

Fondane, Sur les rives de l'Ilissus.<br />

À l'horizon de la critique du rationalisme et de ses corollaires, l'idéalisme et l'humanisme, se profile une<br />

théologie du possible, de la désobéissance métaphysique, du silence. « Quand il a échoué partout, ce n'est plus<br />

à l'homme de poser des conditions », conclut Fondane dans « L'homme devant l'histoire », en 1934, alors que<br />

le nazisme grogne en Europe. Lorsque l'histoire a perdu tout sens rationnel, il est peut−être temps d'envisager<br />

un sens transcendant, dans une métaphysique du religieux. Cependant, Fondane n'est pas, semble−t−il,<br />

croyant et ne fait pas d'une « foi » un tremplin métaphysique vers Dieu ; il fait partie de ces athées religieux<br />

pour lesquels Dieu est une nostalgie dévorante. Cette métaphysique du religieux, à l'opposé de l'amour<br />

intellectuel de Dieu, serait bien plus proche de la théologie juive ou de la mystique rhénane de Nicolas de<br />

Cues, lequel appelait à une docte ignorance, c'est−à−dire à un dépassement de la raison au−dessus<br />

d'elle−même. S'il était, son Dieu serait au−delà du concept. Le plus grand scandale est que Dieu doive se plier<br />

à la logique, et ne soit pas dit au−delà et au−dessus d'elle, tout en étant créateur, en tant que « Dieu d'Isaac,<br />

d'Abraham et de Jacob », plutôt qu'en tant que Dieu aplani et rationalisé par les philosophes. Le Dieu de Job<br />

qui commande le sacrifice de son fils Isaac et qui confronte Abraham à l'impossible est le Dieu terrible et igné<br />

pour lequel la prière galope et la lumière gronde. Fondane va jusqu'à « chestoviser » Nietzsche, en affirmant<br />

que ce n'est pas une religion sans Dieu que retrouve Nietzsche, mais « un Dieu au−dessus −− et au−delà de<br />

toutes les religions spéculatives (34) ». La vieille question théologique de la création des vérités éternelles par<br />

Dieu, consistant à savoir si Dieu est soumis aux vérités éternelles, a déjà le goût de la révolte : si Dieu est<br />

au−delà de ces vérités, comme le soutenait Descartes, s'il avait pu faire que deux et deux ne fassent pas quatre,<br />

c'est qu'il existe un lieu de la pensée hors de la logique. Là se trouve la conséquence la plus extrême, la plus<br />

inavouée, de la pensée de Chestov : être Dieu, être comme lui, délivré du fardeau du logos, et par delà le<br />

temps, la nécessité et la mort ! Être libre comme Dieu ! Cela, Fondane ne le dit pas, mais cet espoir est à<br />

l'horizon de sa révolte −− qu'on se l'avoue ou non. Asphyxié par le doute, le désespoir dévore l'oxygène<br />

mystique du Livre : « Seul parmi les livres, le Livre craque sous la pression d'une possibilité infinie, ouverte à<br />

l'homme, d'un absurde à tout instant prêt à rompre le sérieux, d'un pouvoir auquel nous sommes invités à<br />

participer ; seul, il nous révèle le sens, la portée et la solution du mystère qui fait de l'existant un aliéné<br />

irrésistiblement poussé à succomber à la magie−− qui a pour source le néant, pour moteur le péché, pour<br />

véhicule le savoir autonome (35). » Il y a chez Fondane une métaphysique, une mystique du cri, qui s'enracine<br />

à la fois dans la promesse de l'apôtre selon laquelle « le dernier ennemi qui sera détruit, c'est la mort » (1re<br />

épitre aux Corinthiens, 15.26) et dans la tradition du Zohar : crier, prier, chanter sont les trois degrés<br />

décroissants de manifestation de la colère sacrée de l'homme. « Comment eussé−je osé poser au−dessus de<br />

Toi ces feux follets tremblotant à la surface de mon esprit, de cet esprit qui hait le monde que Tu as créé ?<br />

Puisses−Tu réaliser la promesse, écouter le cri que nous poussons vers toi des profondeurs de l'abîme ; car<br />

nous ne pouvons plus chanter (36). »<br />

Nous pouvons bien dresser le procès de l'irrationalisme, avec toutes les pièces en main, et opposer à la<br />

révolte absurde la révolte contre la révolte. Le procès est gagné a priori ; les jurés sont partie prenante. De<br />

même que pour la phénoménologie matérielle de Michel Henry, qui nous a donné à connaître une méditation<br />

anti−husserlienne menée à partir du point de séparation des voies du logos et de la vie, de même il serait vain<br />

de gagner encore sur ce terrain la victoire (37). Du possible ! réclame Kierkegaard, c'est−à−dire un peu<br />

d'impossible. Le refus de l'homme du souterrain de Dostoïevski conduit−il quelque part ? Un lieu plus<br />

humain, plus habitable que le mécanisme de la philosophia perennis est−il en vue ? Il serait erroné<br />

d'interpréter l'audace de celui qui s'avance aux limites extrêmes de la géographie de la raison humaine comme<br />

<strong>Agone</strong> <strong>10</strong> <strong>10</strong>

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