23.06.2013 Views

Agone n° 10 - pdf - Atheles

Agone n° 10 - pdf - Atheles

Agone n° 10 - pdf - Atheles

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

l'oppression. Albert Camus, l'ami amoureux posthume (il gardait une photo de Simone sur son bureau), l'avait<br />

publié, dans la collection « Espoir » de Gallimard, comme oeuvre de guérison contre le nihilisme. Il publiera<br />

ensuite la plupart de ses ouvrages : il lui semblait impossible d'imaginer pour l'Europe une renaissance qui ne<br />

prît pas en compte les « besoins » définis par Simone Weil. Dans son Journal du 19 octobre 1949, Alain<br />

écrivait : « Je lis un livre important... L'Enracinement de Simone Weil. Important pour tous et très important<br />

pour moi. Je connais cette fille, je l'ai élevée, j'ai déploré sa mort, mais je la déplore moins en pensant qu'elle<br />

laisse ce grand livre [...]. C'est une analyse complète de la société moderne et socialiste [...]. Je suis heureux.<br />

Je comprends le silence de cette terrible fille, qui demeurait pour moi énigmatique (9). »<br />

Attente de Dieu, titre posthume, contenait les lettres et les essais spirituels que Simone Weil avait adressés<br />

au père Perrin, dominicain. Celui−ci, après avoir « hésité longuement », les publia en 1950. Les lettres,<br />

échelonnées entre les mois de janvier et de mai 1942, approfondissaient le dialogue sur le baptême qui avait<br />

commencé entre eux en juin 1941. En dévoilant dans ses lettres « les traits les plus intimes de sa vocation »,<br />

Simone semblait vouloir offrir à son interlocuteur les données d'une meilleure compréhension d'elle−même et<br />

d'une lecture plus précise de ses textes (<strong>10</strong>). Les essais spirituels des « Réflexions sur le bon usage des études<br />

en vue de l'amour de Dieu », destinées au travail apostolique du père parmi ses étudiantes catholiques, à la<br />

complexe méditation sur les « Formes implicites de l'amour de Dieu », au commentaire sur le Pater, allaient<br />

dans le sens d'un christianisme qui doit devenir catholique « en fait », c'est−à−dire « contenir en lui toutes les<br />

vocations sans exception (11) ». Car « pour pouvoir être, comme elle le doit, présente partout, la religion ne<br />

doit pas être totalitaire, mais doit se limiter rigoureusement au plan de l'amour surnaturel qui seul lui<br />

convient (12) ».<br />

Les aspects multiples de son existence commençaient à percer. Le contact avec l'expérience ouvrière, avec<br />

le « malheur social » dont elle parlait dans sa lettre IV, « son autobiographie spirituelle » d'Attente de Dieu,<br />

est décrit pleinement dans la chronique incisive, réaliste et intime à la fois, du « Journal d'usine ». Quand La<br />

condition ouvrière parut en 1951, on avait une première synthèse puissante de cette pensée tissée de vie, de<br />

cette réflexion qui se nourrissait d'expérience, sans jamais la devancer.<br />

Marie−Magdeleine Davy dit : « Simone Weil savait. C'était l'arrêt de l'errance. Elle a compris que le<br />

christianisme devait être vécu intérieurement et que l'extériorité ne compte pas. L'on rejoint alors toutes les<br />

valeurs, aussi bien les valeurs religieuses que celles concernant la patrie et le monde (13) ». Simone Weil<br />

savait. En effet, par une vie qui est à la fois multiple au seuil de la dispersion et totalement unifiée par celle<br />

que l'on peut définir sa colonne portante, la cohérence, Simone Weil nous offre une des expressions les plus<br />

pures de vie consciente.<br />

Simone Weil a deux modes principaux de perception de l'univers : l'attention et l'action. C'est ainsi qu'elle a<br />

vécu et en même temps pensé tous les problèmes−clef qui nous occupent depuis la première guerre mondiale,<br />

ou plutôt les problèmes que peut−être nous venons à peine de commencer à considérer dans l'importance<br />

concrète de leurs influences sur la vie quotidienne de chacun et de tous. Ce sont : le rapport entre science et<br />

technologie et vie quotidienne ; la guerre et la paix ; patriotisme et internationalisme ; la société et l'individu ;<br />

les lois et la liberté ; la religion en tant qu'adhésion à une Église déterminée et en tant que « vitalité morale » ;<br />

la culture en tant que mûrissement des « germes de vie » enfouis dans le passé, et en tant que connaissance et<br />

étude de tous les aspects du présent, à communiquer et répandre parmi tous les êtres humains à travers<br />

l'éducation (qui était au sommet de ses pensées), pour le transformer en vie pratique, manière d'agir envers<br />

soi−même et envers les autres.<br />

<strong>Agone</strong> <strong>10</strong> 3

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!