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Agone n° 10 - pdf - Atheles

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le résultat d'une simple curiosité. Le premier Wittgenstein s'interrogeant sur les limites du dicible n'est pas<br />

loin, bien que le modèle de sa pensée soit un formalisme logique. Sommes−nous « enfermés dans la cage du<br />

langage » ? Dans les termes des logiciens contemporains, la révolte chestovienne engendre une contradiction<br />

performative : on ne peut nier la logique et la sémantique que l'acte d'affirmer pose en tant qu'acte.<br />

La révolte de Fondane vise au fond à rappeler que le point initial de la révolte est le désespoir du temps, le<br />

refus de l'irréversible. Il serait installation dans le paradoxe comme sur une falaise qui menace à chaque<br />

moment de s'effondrer, mais qui est le plus haut sommet d'où l'on voit la mer. À tout jamais, Fondane indique<br />

après Kierkegaard que l'individu est une synthèse de fini et d'infini, de nécessité et de liberté, de désespoir et<br />

de joie. Le judaïsme ? « Un peuple élu ? Cela a−t−il encore un sens ? N'est−ce pas la pire des aberrations ?...<br />

Convenons−en : si le juif, dans l'Antiquité, a témoigné de la présence effective de Dieu, du moins pourrait−il,<br />

dans le monde moderne, et contre le monde moderne, être seul à témoigner, avec la même angoisse, de<br />

l'absence de Dieu ! (38) » Fondane exigeait avant tout qu'un commentateur, placé par avance dans un rôle peu<br />

brillant, prit au sérieux et comme en responsabilité son auteur. Prenons donc au sérieux Fondane : par le défi<br />

que constitue l'exigence de la répétition, il avait a choisi de vivre dans le défi, il avait choisi de vivre dans<br />

l'impossible et dans la désobéissance. « Tant que la raison aura usurpé dans l'homme la totalité de la recherche<br />

de la vérité, et exercera sa dictature par la "contrainte", l'homme se verra obligé de lui obéir, mais regimbera,<br />

lui refusera son assentiment, lui tirera la langue, crachera au visage de ses évidences, et fera appel à l'absurde,<br />

au scandale, à l'exercice de la mort (39). » De Rimbaud qui se révolte contre la mort, il écrira : « On dirait qu'à<br />

chaque époque de l'histoire humaine, un certain nombre d'hommes sont délégués sur terre pour éprouver et<br />

pour vivre une expérience spirituelle jusqu'au bout (40). » Revenir à Drancy auprès de sa soeur Lina, vivre<br />

dans les camps allemands où, selon Moscovici, il racontait des histoires aux enfants −− égal de force et de<br />

puissance joyeuse −−, revenait à entrer dans un autre impossible : l'impossible du sens qu'après lui Hanna<br />

Arendt et George Steiner interrogeront sans recevoir les réponses (41).<br />

L'aube à l'horizon du scepticisme<br />

En 1944, Fondane n'était pas dupe de l'acte de philosnalisations de la philosophie classopher. Il sait que les<br />

rationalisations de la philosophie classique ne sont que des interprétations, satisfaisantes d'un certain point de<br />

vue, de la réalité, c'est−à−dire au fond des romans rationnels, munis d'une structure systématique répondant à<br />

des questions que génère une structure invariante de la condition humaine et dont il reste à faire la théorie.<br />

Notre fin de siècle s'ouvre à un nouveau scepticisme qui surmonte les anciens dogmatismes, qui ne sera ni<br />

un scepticisme logique niant la possibilité de la vérité, ni un scepticisme moral niant la possibilité de valeurs<br />

éthiques, mais un scepticisme critique, désignant sans dissimulation l'imaginaire rationnel de la philosophie<br />

passée. Le scepticisme existentiel de Fondane, que l'on pourrait appeler aussi scepticisme mystique, exprime<br />

que le vécu est irréductible et que devant le sérieux de l'existence tous les bavardages se taisent. Si toute<br />

connaissance est interprétation, comme tend à le laisser entendre l'herméneutique contemporaine, alors ne<br />

doit−on pas interroger le noyau dur de l'existence pure : l'angoisse, l'inquiétude devant lesquelles toute pensée<br />

est consolation, c'est−à−dire négation de la peur du temps, par cela même qu'elle est pensée ? Ici, à bien des<br />

égards, réside une démesure effrayante de la pensée de Chestov, l'absence de ce que Camus appelle la pensée<br />

de midi qui est acceptation de l'imperfection humaine parce qu'il y a l'action. « À partir du moment où elle est<br />

reconnue, l'absurdité est une passion, la plus déchirante de toutes. » La critique radicale que fit Camus, dans<br />

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