Loup d'aveugle

Hé ben ! Je devais vraiment avoir une sale mine pour que
Hargrove essaie d’être sympa avec moi.
Je me trouvais dans le nouveau quartier général de Las
Vegas. Le Corps venait de s’y installer : au début de la guerre,
notre ancienne base avait été détruite. Il s’agissait d’un entrepôt
de 1 200 mètres carrés situé dans les environs de la base
aérienne militaire de Nellis. Le rez-de-chaussée était occupé,
principalement, par l’administration, les zones d’entraînement
et les logements des recrues. Les sections souterraines, qui
venaient d’être construites, rassemblaient les trucs « plus
compliqués à expliquer », comme l’hôpital interespèce, les
réserves de munitions et les labos.
J’y avais passé la journée. D’abord à me faire raccommoder
par les médecins, ensuite à me faire interroger par des
détectives de plus en plus expérimentés. Il était 23 heures et
j’étais encore en rendez-vous. Avec mon chef de très mauvaise
humeur, cette fois.
ŕ Mage de Croissets ! J’ai légèrement tressailli.
ŕ Oui, monsieur.
ŕ Veuillez vous concentrer, je vous prie. J’ai un entretien à 7
heures demain matin et j’aimerais bien rentrer chez moi avant
minuit.
ŕ Bien, monsieur.
Il avait vite quitté le mode « père attentif ». Je me
demandais bien pourquoi il s’abaissait à tout récapituler avec
moi. William Hargrove était de la vieille école. Il avait pris sa
retraite mais avait été rappelé à cause de la guerre. Il avait
remplacé une personne occupant un poste administratif
éminent pour lui permettre de se consacrer plus activement au
combat. Il avait été clair avec moi : il n’aimait ni le fait que
j’étais une femme, ni mes états de service, ni ma mère louvegarou.
J’avais fait mon possible pour faire profil bas et rester à
distance, mais ça n’avait pas aidé.
D’un autre côté, c’est un peu difficile d’établir une relation de
confiance avec son chef quand on est connue pour avoir tué son
ancien superviseur. Il a fait glisser une photographie sur la
table.
128