Loup d'aveugle

avait été fermée dans les années 1950, quand le gisement s’était
épuisé. Elle était envahie par des arbres de cinquante ans et, au
milieu de l’allée de graviers, Jane était recroquevillée. Humaine,
vêtue des habits légers qu’elle avait emportés dans le petit sac à
dos, avec le téléphone portable et de quoi tuer les vamps.
Je lui ouvris la portière et elle monta dans l’habitacle, ses
longs cheveux noirs l’enveloppant comme un voile, ses
vêtements fins couvrant un corps frissonnant, hérissé de chair
de poule.
ŕ À manger, dit-elle, la voix rauque.
Je lui tendis le saladier de porridge et une grande cuillère.
Elle jeta le couvercle par terre et se goinfra. Je l’observai du coin
de l’œil tout en conduisant. Elle ne prenait pas la peine de
mâcher, enfournant juste le porridge froid comme si elle
mourait de faim. Elle paraissait plus maigre que d’habitude,
même si Jane n’avait jamais été guère plus que de la peau, des
os et du muscle ; comme son grand fauve, pensai-je. Bon sang !
Les sorcières, je peux gérer. Mais ce qu’était Jane ? Peut-être
pas tant que ça. Je venais à peine de découvrir que les
métamorphes ou les porteurs de peau existaient. Personne ne
connaissait leur existence. Le saladier terminé, elle sortit son
blouson en cuir du sac que j’avais apporté, s’y blottit et
s’enfonça dans son siège en tenant délicatement le récipient
vide. Elle ferma les yeux, l’air épuisée.
ŕ Ça n’a pas été une partie de plaisir, dit-elle si bas que je
dus tendre l’oreille pour entendre ses paroles. Ces vamps sont
rapides. Plus rapides que Bête.
ŕ Bête ?
ŕ Mon fauve, répondit-elle.
Elle rit, un son isolé, perdu, presque triste.
ŕ Mon gros fauve de chasse. Qui a dû suivre leur piste
jusqu’à leur repaire. Gravir et descendre des montagnes,
franchir des ruisseaux et traverser la rivière. J’ai été obligée de
m’immerger dans l’eau pour faire baisser ma température. Bête
n’est pas faite pour les courses de fond.
Elle soupira et régla la ventilation pour diriger l’air chaud sur
elle.
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