Loup d'aveugle

egarder ses sous-fifres m’abattre. J’ai repéré sa position avec
précision et me suis mise à courir vers elle.
Je n’ai pas pu aller très loin. Au bout de trois ou quatre pas,
j’ai senti mes pieds devenir lourds, comme si j’étais en train de
marcher dans de la mélasse. J’ai essayé de convaincre mon
corps que ce n’était qu’une illusion, mais mes membres ne
m’écoutaient plus. J’ai entendu le bourdonnement grave d’un
flot d’énergie. Il vibrait tout autour de moi : impossible de me
concentrer sur autre chose. Soudain, un visage gigantesque est
apparu devant moi. Il flottait dans les airs et me dévisageait,
comme le tout puissant magicien d’Oz.
ŕ Impressionnant, a lancé Colafranceschi tandis que je
luttais contre l’impression opiniâtre que des poids de cinquante
kilos étaient attachés à mes jambes. Vous êtes bien payée ?
Pas assez, ai-je pensé en me forçant à me concentrer sur
l’issue de secours d’un des bâtiments, à une centaine de mètres
de là. D’après ce que je voyais, il n’y avait personne devant. Mais
le sort de localisation disait l’inverse.
ŕ En quoi ça vous regarde ?
ŕ Peu importe. Je vous offre le double, a-t-elle proposé.
Vous me seriez très utile. Le personnel qualifié est rare, de nos
jours. Comme vous avez pu le constater.
ŕ Vous n’avez pas l’air de pleurer vos hommes, ai-je fait
remarquer en essayant de me concentrer sur la conversation
tout en gardant le sort de localisation à l’œil et les bruits de pas
à l’oreille.
ŕ Quatre contre un, ce n’est pas très risqué comme pari, a
répondu la projection astrale, tout en haussant ses épaules
immatérielles.
ŕ Pas terrible, comme épitaphe, ai-je articulé en serrant les
dents.
J’avais toutes les peines du monde à parler calmement. Le
sang dégoulinait le long de mon bras. Je l’ai ignoré : je ne
pouvais pas me permettre de gâcher mon énergie magique en
contenant l’hémorragie. J’avais déjà franchi cinquante mètres,
mais chaque pas en avant était plus difficile que l’autre. Ce
n’était plus de la mélasse, c’était du béton en train de prendre.
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