Loup d'aveugle

Dans la lumière, je vis Jane tendre un bandage à Brax et sortir
un de ses couteaux. Son ombre sur la paroi de la mine leva ce
dernier et l’abaissa, décapitant les parias ; l’ouïe commençait à
me revenir ; la chair qu’on tranchait faisait un bruit spongieux.
Elle laissa les têtes.
ŕ On les ramassera en repartant. La chance vient de tourner
en notre faveur.
Je fus incapable de regarder les trophées. Je n’avais pas été
de la moindre utilité. J’étais le maillon faible du groupe. Je
redressai les épaules et effleurai les charmes que je portais.
J’étais censée les retenir jusqu’à ce que Jane me dise de les
activer. Ça n’allait pas tarder.
Nous continuâmes à longer la galerie qui s’élargissait. Jane
me toucha le bras dans le noir. Je sursautai. Elle me tapota la
main et articula en silence :
ŕ Charme un. Maintenant.
Maladroitement, je le sortis, l’activai et le jetai sur la gauche.
Les bruits de pas résonnèrent, comme si nous marchions
toujours, mais dans une galerie transversale. J’enclenchai alors
le second charme, celui sur lequel mes sœurs et moi avions
travaillé toute la journée. Le charme d’obscurcissement. C’était
ce qui se rapprochait le plus dans toutes nos histoires d’un sort
d’invisibilité, et aucune sorcière ne l’avait parfaitement réussi
depuis des centaines d’années. Suivant les instructions que
j’avais mémorisées, j’attirai à moi l’image du sol et des parois de
roche, pour nous en envelopper. J’adressai un signe de tête à
Jane. Elle éteignit la lampe de poche. Un instant plus tard, elle
avançait lentement, Brax à son côté. Je les suivis, une main sur
l’épaule de chacun d’eux. Celle posée sur l’épaule de Brax était
poisseuse de sang. Il saignait toujours. Les vampires sentent le
sang. Le sort d’obscurcissement n’était pas prévu pour masquer
les odeurs. Une faible lumière apparut devant nous, gagnant en
intensité à mesure que nous progressions et que la galerie
s’ouvrait. Nous nous arrêtâmes. L’espace qui s’étendait sous nos
yeux se trouvait à la croisée de cinq passages. Au centre étaient
installés une table avec une lanterne, plusieurs chaises et des
lits de camp. Carmen était couchée sur l’un d’eux et protégeait
son ventre de ses mains en regardant furtivement autour d’elle.
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