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Loup d'aveugle

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Lorsque je fus prête, j’ouvris la portière de la voiture<br />

banalisée et posai un pied dans l’allée, les paupières plissées.<br />

Dans ces moments-là, quand je m’apprête à lire les morts, je<br />

ressens tout si distinctement, le soleil sur mes épaules, la brise<br />

comme une pression légère sur mon visage, la sensation de la<br />

terre sous mes pieds qui me donne une assise, le parfum de<br />

fleurs à floraison tardive. L’odeur de vieux sang. Mais je n’aime<br />

pas ouvrir les yeux. Le monde physique est trop intense. Source<br />

de trop nombreuses distractions.<br />

Jane me prit la main de sa main gantée et la posa sur son<br />

poignet recouvert de cuir. Je m’y agrippai pour qu’elle me guide<br />

et nous marchâmes vers la maison. Les couvre-chaussures et le<br />

manteau en plastique que m’avait donnés Brax produisaient de<br />

petits bruissements à chacun de mes pas. Je me baissai pour<br />

passer sous le ruban jaune que Jane releva pour moi. Ses<br />

santiags protégées par les couvre-chaussures en plastique<br />

faisaient craquer en bruissant le gravier de l’allée à mon côté.<br />

Nous gravîmes les marches de béton, au nombre de quatre,<br />

pour accéder au petit porche d’entrée. J’entendis Brax tourner<br />

la clé dans la serrure. L’odeur de vieux sang, d’excréments et de<br />

souffrance s’échappa en sifflant avec l’air chaud enfermé dans le<br />

bâtiment verrouillé. Aussitôt, je sentis les humains décédés.<br />

Cinq avaient vécu dans cette maison Ŕ deux parents, trois<br />

enfants Ŕ, avec un chien et un chat. Tous morts. Mon don de la<br />

terre, intrinsèquement lié à la vie, se rétracta, se ferma en mon<br />

sein, comme une fleur rassemblant ses pétales pour reformer un<br />

bouton non encore éclos. Les yeux toujours fermés, je fis un pas<br />

à l’intérieur.<br />

L’horreur qui saturait les murs et le tapis me mordit, me<br />

piqua, comme un essaim d’abeilles, cherchant à me tuer. L’air<br />

empestait lorsque j’en aspirai une bouffée.<br />

Prise de vertiges, je tendis mon autre main. Jane me rattrapa<br />

et me remit d’aplomb, ses gants de cuir m’épargnant le contact<br />

de sa peau qui m’aurait ramenée loin de la mort qui imprégnait<br />

cette maison. Au bout de quelques instants, je hochai la tête<br />

pour lui faire comprendre que j’allais bien et elle me relâcha,<br />

même si je ne desserrai toujours pas les paupières. Je ne voulais<br />

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