Loup d'aveugle

mère se désignait, ainsi que toutes les femmes qui l’ont
précédée, comme la gardienne de l’œil.
ŕ Des gens sont morts ?
ŕ Des hommes. L’œil ne tue que les hommes. Il leur a
toujours attiré le mauvais sort et il a porté chance aux femmes.
Mais je préfère ne pas trop croire à cela.
ŕ Pourquoi ?
Eh bien, si Agnès le vend, il va lui arriver quelque chose
d’effroyable. J’ai beau ne pas l’aimer, elle fait partie de la
famille. Il est donc de mon devoir d’essayer de là protéger d’ellemême.
L’orage éclata à l’instant précis où nous nous engagions
dans l’allée de la demeure Bawks et, même moi, j’avais du mal à
discerner la bâtisse derrière les épais voiles de pluie grise. Elle
était imposante. Un unique éclat de lumière aveuglant lui
conféra des allures de maison hantée.
Mabel invita Escott à suivre une bifurcation dans l’allée pour
gagner l’arrière de la demeure. Il éteignit les phares, s’en
remettant à la chance, priant pour qu’aucun éclair ne révèle
notre présence à quiconque observerait depuis la maison. Mabel
désigna une porte cochère qui donnait sur l’entrée secondaire.
Escott fit lentement glisser la voiture à couvert, l’immobilisant
le long d’un coupé Buick à l’allure racée, stationné en sens
inverse. Le tambourinement de la pluie sur notre toit avait
cessé. Nous avions remonté les vitres pour éviter que l’eau entre
avant de les baisser de nouveau, en quête d’air.
ŕ On se croirait en hiver, déclara Mabel sur le ton de la
conversation, comme satisfaite.
ŕ À qui appartient ce véhicule ? demanda Escott.
ŕ C’est celui de Clive. Il n’utilise jamais le garage. Il préfère
pouvoir partir en vitesse chaque fois qu’il doit se rendre quelque
part.
ŕ Ne sommes-nous pas trop visibles, ici ?
ŕ Ils vont rester au petit salon, de façon à pouvoir surveiller
l’arrivée de leur riche acheteur.
ŕ Je dois dire que l’apparition providentielle de ce fortuné
collectionneur de pierres précieuses me laisse perplexe.
Comment Clive Latshawa-t-il pu rencontrer une telle
personne ?
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