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et dans la parole vient se nouer à un autre fil conducteur, en première approche fort<br />
éloigné du précédent, l’amour (éros). Ce qui, dans <strong>Phèdre</strong>, nous vaut de longs discours<br />
portant <strong>sur</strong> les amants, les avatars et soucis de la vie amoureuse, les voluptés<br />
de l’amour, puis une rectification ferme et précise de la conception courante de<br />
l’amour, oublieuse de l’amour de la vérité et de l’absolu.<br />
En vérité, ce noeud entre les deux fils conducteurs n’est pas du tout indifférent ou<br />
mal venu. Il est conçu à partir d’une analogie* dont voici les traits : de même que<br />
le mauvais amoureux se méprend <strong>sur</strong> l’objet de son désir* et agit n’importe<br />
comment, le mauvais discours ne sait ni de quoi il parle ni si ce qu’il énonce est<br />
vrai.<br />
Il est même souhaitable de rendre ce lien entre amour et parole encore plus intime :<br />
le bon discours, le discours droit est provoqué par l’ensemencement de l’âme<br />
par l’amour. La propriété de l’amour, en effet, est d’ouvrir l’âme <strong>sur</strong> le vrai et<br />
l’un (ou l’unité), en la libérant de son incarnation dans un corps et de son utilisation<br />
incontrôlée et dispersée des mots. Le discours vrai et du vrai prend bien une<br />
forme dialectique, dialoguée et partagée, aussi fortement que l’amour jette dans un<br />
enthousiasme* ou un délire* qui aspire au plus haut degré de vérité. Le discours vrai<br />
autant que l’amour sont pédagogues, notamment dans l’amour des garçons à partir<br />
duquel se conçoit l’éducation.<br />
Parler en vérité est digne d’amour, et seul est digne d’amour le bien parler. Aimer<br />
selon le vrai oblige à bien parler et à viser l’unité. En revanche, le mauvais discours,<br />
le bavardage de la rue et le monologue de la rhétorique politique, se font monocordes,<br />
monopoles du parler, fioritures de mots, et entraînement à la lourdeur de<br />
phrases qui n’ont plus d’autre intérêt que de favoriser la production d’effets de dispersion<br />
<strong>sur</strong> l’auditoire, chacun ne songeant plus qu’à la satisfaction de son désir personnel<br />
.<br />
-A ces deux thèmes s’en ajoutent deux autres dont l’association est plus énigmatique.<br />
Tout d’abord il est question de la valeur des mythes et du crédit que nous devons<br />
leur accorder.<br />
Ensuite il est question de la valeur qu’il faut donner à l’écriture. Elle n’est qu’un<br />
simulacre qui ne répond pas quand on lui pose une question, une parole privée de son<br />
père, c’est-à-dire de son auteur. L’écriture est à la parole vive ce que l’ombre de<br />
l’Idée est à l’Idée elle-même. Or le recours au mythe et à l’écriture participent d’une<br />
même démarche. Il s’agit chaque fois de substituer à un original absent une image ou<br />
une copie qui en tient lieu. Le mythe est le lieutenant de la vie intelligible comme<br />
l’écriture est le lieutenant du Verbe. Le mythe supplée à l’impossibilité d’une<br />
connaissance immédiate comme l’écriture supplée à la parole vive. Mythe et écriture<br />
sont des remèdes pour apaiser notre désir de savoir.<br />
Peut-être y a-t-il malgré tout une organisation interne à tous ces éléments ? C’est<br />
comme si les propos des personnages se laissaient rouler. Allure composite,<br />
désinvolte, brillante.<br />
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