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créative de l’écriture : écrire ce n’est pas simplement consigner un savoir, c’est créer,<br />
et la pensée trouve à se déployer dans l’écriture d’une autre façon qu’elle ne le fait<br />
dans la parole orale. Il faut dire que Platon fait lui-même un usage limitatif de<br />
l’écriture : ses textes sont seconds par rapport à la parole de Socrate qu’ils restituent,<br />
et il est évident qu’en ce sens l’écriture ne peut qu’être que l’ersatz de l’original —<br />
l’artificialité du dialogue platonicien témoignant d’ailleurs de la maladresse de l’écrit<br />
quand il prétend restituer le dialogue en acte.<br />
Cette condamnation de l’écriture se retrouvera chez Rousseau, dans son Essai <strong>sur</strong><br />
l’origine des langues (1781), et elle est encore plus paradoxale : Rousseau, plus que<br />
Platon, est un écrivain à part entière, qui va trouver dans l’écriture ces ressources<br />
d’expressivité qu’il lui dénie dans l’Essai <strong>sur</strong> l’Origine des langues, où il estime que<br />
l’écriture n’est qu’un succédané de la parole orale, apte à transmettre des idées, mais<br />
inapte à communiquer avec force les sentiments. Comment et pourquoi le Rousseau<br />
romancier et autobiographe précurseur du Romantisme s’est-il aveuglé <strong>sur</strong> ce fait que<br />
l’écriture est aussi un formidable vecteur pour l’expression des passions et de la<br />
sensibilité ?<br />
2) La parole du mythe<br />
La tension entre l’oral et l’écrit se retrouve aussi dans le dialogue platonicien, quand<br />
il mobilise les mythes. Le mythe, d’abord récit de poète, fable, est par nature<br />
incongru dans un dialogue qui relève du logos, de la parole raisonnée. Pourquoi<br />
Socrate convoque-t-il les mythes à trois reprises (mythe de l’attelage ailé, mythe des<br />
cigales, mythe de Theuth) ? Il apparaît que le mythe est un aliment pour la pensée, un<br />
tremplin pour l’amener à aller où la raison ne peut l’amener. Le mythe en ce sens ne<br />
serait pas inférieur à la raison, mais le chemin que la pensée peut suivre quand la<br />
raison montre ses limites. Dans le cas du mythe de Theuth, on comprend par ailleurs<br />
que l’usage du mythe contribue à discréditer l’écriture : le mythe, la fable des jardins<br />
d’Adonis (276b-d) le raisonnement pas analogie (lorsque Socrate compare peinture et<br />
écriture en 275d) amènent à se détacher de la lettre du texte pour comprendre son<br />
esprit. C’est d’ailleurs pourquoi l’origine du mythe se trouve dans la parole orale et<br />
chantée : il est un récit qui ne peut trouver sa vérité dans la lettre du texte ; il est cette<br />
parole qui ouvre <strong>sur</strong> une pensée qui ne peut être figée.<br />
Verlaine<br />
1) La musique comme horizon et idéal de la parole<br />
C’est bien son caractère musical, chanté, que Verlaine veut restituer à la parole. La<br />
musicalité verlainienne compense le défaut d’expressivité des mots, rend à la parole<br />
ce qu’elle doit au chant. Dans les Romances sans paroles, les mots sont moins<br />
considérés pour ce qu’ils signifient que pour ce qu’ils suggèrent, la signification<br />
devient secondaire, ou plutôt dérive d’un agencement des mots qui est d’abord<br />
musical. Le tire du recueil — Romances sans paroles — indique bien que le signifié<br />
peut même être exclu, paroles devant être compris ici comme le contenu de la parole,<br />
ce qu’elle signifie. Mais il ne faut évidemment pas réduire la parole à cette seule<br />
dimension ; la parole comme Verbe, comme état essentiel du langage est évidemment<br />
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