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Cours sur Phèdre

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d’épouser le comte : elle souhaite au contraire ne pas l’épouser), mais au sens où se<br />

voyant écrire ce qu’il redoute le plus au monde — le mariage d’Araminte avec le<br />

Comte —, Dorante va devoir avouer son amour (ce qu’il ne fera pas dans un premier<br />

temps, et qu’il fera malgré lui à la scène 16 de l’acte II, lorsqu’Araminte exhibera<br />

devant Dorante le portrait d’elle qu’il a peint). Araminte joue ici de l’autorité de<br />

l’écrit : les paroles s’envolent, mais les écrits restent. Ce qui est écrit est définitif et<br />

force le réel ; si la lettre est envoyée (et Marton prend ses précautions pour qu’elle ne<br />

le soit pas de toute façon), le mariage aura lieu.<br />

Dans la deuxième apparition d’une lettre (première scène de l’acte III), l’écrit va être<br />

aussi convoqué pour son autorité, la preuve qu’il représente : autant la parole est<br />

multiple, incertaine, mensongère, équivoque, autant on peut toujours se dérober par<br />

les mots (lire le passage savoureux acte III scène 6, GF p. 113, où Araminte joue <strong>sur</strong><br />

les mots pour esquiver les arguments de sa mère et ne pas prendre de décision<br />

définitive contre Dorante), autant l’écrit doit représenter une preuve certaine. Ainsi, à<br />

l’acte III, scène 8 Marton produit devant tous les personnages réunis la lettre qu’elle<br />

ne sait pas avoir été mise dans ses mains par Dubois et qui dans son esprit est la<br />

preuve accablante que Dorante est chez Araminte pour la séduire. Or, cette preuve<br />

produit l’effet inverse de celui escompté par Marton : cet amour de Dorante qui éclate<br />

aux yeux de tous, <strong>sur</strong> le mode de la confidence dévoilée, ne peut que ras<strong>sur</strong>er<br />

définitivement Araminte <strong>sur</strong> les sentiments de celui qu’elle aime. Certes, elle est<br />

humiliée de voir cet amour révélé au grand jour, alors qu’elle s’obstinait à le nier,<br />

mais au bout du compte l’aveu de Dorante, qu’Araminte n’avait pas réussi à lui<br />

soutirer par la ruse de la première lettre, advient donc, par une autre lettre, symétrique<br />

de la première : cette fois-ci, c’est le Comte qui lit la lettre de son rival à sa maîtresse<br />

; à l’acte II, scène 13, Dorante écrivait sous la dictée de sa maîtresse une lettre où elle<br />

promettait son amour à son rival. Le stratagème de Dubois a en tout cas fonctionné :<br />

cette lettre adressée à un prétendu ami par Dorante a bien été interceptée par Marton,<br />

qui n’a pu s’empêcher de révéler à tous l’aveu qu’elle contenait. Cet aveu n’en<br />

demeure pas moins très paradoxal : il passe par l’écrit ; la lettre parle pour Dorante,<br />

qui lui est muet, et qui assiste à la profération de sa propre parole sans mot dire.<br />

[→ Parallèles possibles avec Cyrano de Bergerac, acte V, scène 5, quand res<strong>sur</strong>git la<br />

lettre adressée à Roxane que Cyrano a écrite quinze ans auparavant pour le compte de<br />

Christian de Neuvillette. Tandis qu’on lit devant Dorante la lettre qu’il a écrite,<br />

Cyrano lit lui-même la lettre dont Roxane ne sait pas encore qu’il l’a écrite. Quinze<br />

ans auparavant, comme à ce moment même, c’est par la lettre que Cyrano peut dire<br />

son amour à celle qu’il aime en secret. Les mots de la lettre lui permettent de<br />

communiquer son désir, tout en le cachant : les mots sont donc l’espace où le désir se<br />

déploie, et où il été rendu impossible, en tout cas différé pendant quinze ans, jusqu’à<br />

ce que Roxane comprenne, alors que Cyrano agonise, qu’il était l’auteur des lettres de<br />

Christian.]<br />

FIN<br />

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