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La séparation

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plus, j’avais émergé de ce que je prenais pour le sommeil dans<br />

ce que je prenais pour la réalité : une illusion lucide.<br />

Il ne tenait qu’à moi de la fuir comme je l’avais toujours fait<br />

jusque-là, en laissant l’angoisse me traverser, m’emporter, me<br />

réveiller vraiment, me tirer du fantasme. Cette fois, cependant,<br />

je décidai de rester pour vivre complètement l’hallucination.<br />

Posté à la fenêtre, je regardai les bombardiers décoller par<br />

vagues successives au-dessus de la ville, frôlant les toits. Je<br />

tentai même de les compter Ŕ cinquante, cent, deux cents, trois<br />

cents, ils étaient de plus en plus nombreux à rugir dans la nuit<br />

vengeresse.<br />

Je jouissais de l’irréalité de la scène, plongé dans la<br />

cacophonie magnifique des puissants moteurs, qui me noyaient<br />

de leur déluge sonore.<br />

XVIII<br />

Ce matin-là, le vent fouettait les demeures en briques et en<br />

tuiles rouge pâle de Barnham. Un ciel bas, couleur de plomb,<br />

pesait sur les plateaux du Lincolnshire. À la limite de la<br />

bourgade, près de la gare, des parcs à bestiaux attendaient le<br />

bétail du marché hebdomadaire. Les rues étroites du centreville<br />

étaient flanquées de maisons mitoyennes, appuyées les<br />

unes aux autres, mais des demeures plus vastes, plus riches<br />

constituaient les faubourgs, où l’agglomération se fondait à la<br />

campagne. Je les dépassai en suivant la direction de Louth, par<br />

la grand-rue. Un paysage de cultures s’offrit à moi, plat et<br />

monotone, dépourvu d’attrait malgré les arbres et les haies<br />

disséminés. Tout en marchant d’un bon pas, j’examinais les<br />

alentours, à la recherche des deux bases de la RAF installées<br />

près de Barnham, mais rien ne laissait supposer la présence<br />

d’un aérodrome : pas le moindre château d’eau, hangar ou<br />

manche à air. Demi-tour.<br />

Quelques instants plus tard, je parcourais de nouveau la<br />

grand-rue en plein centre-ville, dépassant le pub dont le patron<br />

me louait une chambre. J’en profitai pour jeter un coup d’œil à<br />

la fenêtre où je m’étais imaginé, debout dans le noir. De la rue,<br />

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