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Le « Weston

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Europe, les changements n’étant dus qu’au climat et aux<br />

modifications des cours d’eau ; ou si elle ne s’en rapproche que<br />

d’assez loin, dans les grandes lignes seulement – ce qui<br />

risquerait d’affecter notre reconnaissance des Alpes : une<br />

gorge inattendue près du Montgenèvre ou du Brenner nous<br />

renverrait, domptés, à J-ville.<br />

Beau temps, ciel bleu, courant un peu plus fort, à présent.<br />

Cela ne pouvait durer, Guilford en était conscient, cette<br />

croisière paresseuse avec une cuisine bien pourvue, ces longues<br />

journées de photographie et de pressage de plantes, ces plages<br />

gravelées dépourvues d’insectes et autres animaux nuisibles, ces<br />

nuits aussi riches en étoiles que les plus belles qu’il avait<br />

connues dans le Montana. <strong>Le</strong> <strong>Weston</strong> remontait toujours le rift<br />

rhénan ; les parois de la gorge devenaient plus abruptes, les<br />

reliefs plus spectaculaires, jusqu’à ce que le jeune homme en<br />

vînt à imaginer sans difficulté la vieille Europe et ses<br />

monuments disparus (<strong>«</strong> L’abbaye d’Eberbach », eût psalmodié<br />

Keck. <strong>«</strong> <strong>Le</strong> Marksburg, Sooneck, château Pfaltz… »), ses<br />

chevaliers Teutoniques massés sur les rives, arborant lances et<br />

heaumes à aigrettes.<br />

Mais ce n’était pas la vieille Europe, il en trouvait la preuve<br />

dans le moindre recoin : poissons épineux flottant au-dessus<br />

des hauts-fonds, odeur de cannelle des forêts de pins-sauges (ni<br />

des pins ni de la sauge, mais de grands arbres dont les branches<br />

formaient une plate-forme spiralée), cris nocturnes d’animaux<br />

encore sans nom. L’homme était certes arrivé jusqu’ici Ŕ les<br />

voyageurs croisaient parfois un radeau, découvraient de temps à<br />

autre les traces d’une corde de remorque, des cabanes de<br />

trappeurs, de la fumée, des barrages à poissons Ŕ mais à une<br />

date récente.<br />

Guilford puisait une sorte de réconfort dans la solitude de la<br />

contrée qui s’étendait autour de lui, dans l’anonymat à la fois<br />

terrible et merveilleux qu’il y trouvait, dans l’idée qu’il<br />

imprimait ses pas où nul ne l’avait jamais fait, tout en sachant<br />

que ce qui l’entourait aurait bientôt effacé ses traces. <strong>Le</strong><br />

continent ne demandait rien, ne donnait rien d’autre que luimême.<br />

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