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[Bonnes feuilles<br />
(une veuve qui nous avait rejoints en<br />
Israël avec ses deux enfants, qui ont été<br />
mes deux premiers amis). »<br />
> Comment travaillent<br />
les livres<br />
« (…) Les livres travaillent d’une façon<br />
assez étrange. On ne peut pas dire que<br />
c’est en lisant un livre que les choses<br />
changent. Ce n’est pas parce qu’elle<br />
lit un certain livre que la population<br />
change d’avis. Mais un livre peut toucher<br />
la pensée d’un petit groupe de<br />
personnes, et peut donner lieu à un<br />
changement dans l’imaginaire collectif<br />
par une transmission qui échappe à la<br />
lecture. Il suffit qu’une idée passe dans<br />
l’imaginaire de quelques personnes<br />
pour qu’elle se développe et s’étende<br />
pour finir par atteindre la majorité. (…)<br />
Je pense que nous faisons une erreur<br />
quand nous croyons que nous écrivons<br />
pour cette entité qu’est le peuple. Si<br />
nous arrivons à lancer par un texte une<br />
idée qui peut intéresser un petit groupe<br />
de gens, de lecteurs intelligents, cela<br />
est suffisant. Puis les idées font leur<br />
propre chemin.<br />
(…) Ce qui m’intéresse de plus en plus<br />
n’est pas la littérature en elle-même,<br />
mais la littérature comme une façon de<br />
m’interroger sur le monde. Les histoires<br />
qui s’arrêtent à la fin de la page peuvent<br />
me satisfaire pour une demi-heure, mais<br />
j’ai besoin qu’elles s’ouvrent, qu’elles<br />
me permettent de les aménager, de les<br />
DR<br />
transformer, pour qu’elles me servent<br />
d’une façon absolument pratique.<br />
Un des grands mensonges qu’on nous<br />
raconte depuis toujours est l’idée que<br />
la littérature est un passe-temps, un<br />
luxe presque superflu. Or, la littérature<br />
est un lieu aussi concret que cette pièce<br />
et n’est pas un passe-temps mais est<br />
faite du temps lui-même. Elle habite,<br />
lorsqu’elle est vraie, le passé, le présent<br />
et le futur.<br />
Je pense que l’enseignement de la<br />
littérature passe par ce constat. Les<br />
maîtres le savent. Ce n’est que quand<br />
l’élève réalise que c’est son histoire<br />
qui se raconte, son lieu qui se définit,<br />
son temps qu’on est en train de saisir<br />
dans le livre, qu’il devient lecteur. Sans<br />
cela, il n’y a aucune raison de supposer<br />
que le livre est plus important qu’un jeu<br />
vidéo. Si un livre s’arrête au bout de la<br />
page, il n’est pas plus important qu’un<br />
jeu vidéo ! La littérature qui compte est<br />
celle qui prolonge notre vie… »<br />
> Sanctuaire<br />
Alberto Manguel s’est souvent déplacé<br />
au gré d’activités que le hasard lui offre<br />
et qu’il saisit à la volée.<br />
« C’est intéressant de savoir qu’on<br />
garde toujours en soi une bibliothèque<br />
imaginaire, une bibliothèque mentale,<br />
vraiment virtuelle, et qu’on peut vivre<br />
avec une petite bibliothèque matérielle.<br />
Cela fut mon cas pendant de très nombreuses<br />
années pour des raisons d’espace.<br />
C’est une situation qui implique<br />
un travail compliqué. On se dit, oui en<br />
effet, dans tel volume de Schopenhauer,<br />
je me souviens que quelque part au<br />
milieu, vers la moitié de la page de<br />
droite, il y avait telle référence. Mais<br />
ensuite, aller chercher cette référence<br />
dans une bibliothèque publique, c’est<br />
presque impossible.<br />
– Où étaient tes livres ?<br />
– Mes livres, je les envoyais au fur et à<br />
mesure dans un dépôt, près de Toronto.<br />
Je faisais des caisses qui rejoignaient ce<br />
dépôt. Je payais un petit loyer mensuel<br />
pour ce stockage. Je ne gardais avec moi<br />
que les livres dont j’avais besoin pour<br />
mon travail immédiat. En fonction de<br />
mes travaux, Une histoire de la lecture<br />
ou Le Livre d’images, ma bibliothèque<br />
changeait. (…) Avec le succès d’Une histoire<br />
de la lecture, je pouvais enfin me<br />
permettre de mettre un peu d’argent de<br />
côté pour l’achat d’une maison. (…) Et,<br />
comme dans les meilleures histoires,<br />
tout s’est passé d’une manière cohérente<br />
! Christine [libraire à Poitiers] nous<br />
a présenté un agent immobilier qu’elle<br />
connaissait et qui s’est avéré être une<br />
personne charmante. Il nous a montré de<br />
nombreuses propriétés dans la région,<br />
d’un très grand charme et à des prix enfin<br />
accessibles pour nous ! Il nous montrait<br />
tellement de belles choses que je finis<br />
par lui dire : « Puisque vous avez tout ce<br />
choix, vous n’auriez pas une abbaye ou<br />
un couvent ? » Moi j’avais en tête, comme<br />
endroit idéal, un endroit fermé avec une<br />
manière de cloître. Il me répond : « Je n’ai<br />
pas de couvent à vous montrer, mais j’ai<br />
un presbytère ! » Il nous donne rendezvous<br />
à Mondion, ici ! Craig et moi avons<br />
pris la route, et nous sommes montés<br />
sur la colline qui domine le village. Le<br />
champ, de l’autre côté de ce mur, était<br />
couvert de tournesols en fleur. Nous<br />
sommes arrivés devant la petite église.<br />
C’était d’une beauté sobre, reposante…<br />
Puis, on nous ouvre le portail, et je vois<br />
le jardin. Ça a suffi ! J’ai écarté les mains<br />
et me suis écrié « Quelle merveille ! » On<br />
a visité la maison. Le bel escalier en bois<br />
m’a charmé lui aussi ! Les cheminées… Et<br />
116 Bibliothèque(s) - REVUE DE L’ASSOCIATION DES BIBLIOTHÉCAIRES DE FRANCE n° <strong>47</strong>/<strong>48</strong> - décembre 2009