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DOSSIER<br />
véritable aspiration à incarner une idée de la modernité généreuse,<br />
associée à une exigence de démocratisation des savoirs.<br />
Comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi un tel réquisitoire,<br />
si sévère ?<br />
Je proposerai deux raisons à cela. La première, c’est que<br />
la lecture publique nous semblait à tous répondre au principe<br />
de l’offre. Exprimé autrement : il suffisait de proposer pour<br />
que le public dispose. Ce principe relève, on le sait désormais,<br />
d’une certaine candeur qui n’est plus de mise. Sans doute<br />
le formidable enthousiasme des années 1980 nous avait<br />
tous convaincu que la chose était simple. Elle ne l’est plus<br />
aujourd’hui. Au nom de ce principe nous avons bâti des équipements<br />
dont la structure, quoique rhabillée de neuf, parée<br />
des technologies contemporaines, était déclinée de modèles<br />
anciens fournis par les bibliothèques d’étude et bibliothèques<br />
patrimoniales. La nature du document dictait la structure des<br />
sections. Il est clair aujourd’hui que le lecteur contemporain a<br />
peu à voir avec le lecteur idéal de ces équipements. La sacralisation<br />
des lieux qu’imposait naturellement le modèle semble<br />
aujourd’hui battue en brèche.<br />
La seconde vient sans doute du lecteur lui-même et de<br />
la grande liberté qu’il a acquise. En un lecteur résident sans<br />
doute plusieurs lecteurs, nous dirions également plusieurs<br />
usagers, et cette pluralité s’exprime dans nos équipements<br />
avec une assez grande effronterie 6 . Sans doute ceux-ci ont-ils<br />
du mal à accepter cela.<br />
TRADUIRE LE PRIMAT DES USAGES<br />
Les propositions que nous articulons ici traitent à la fois de l’offre<br />
de services et de la forme des équipements. Elles partent de<br />
deux postulats simples : le premier c’est que nos équipements<br />
doivent s’appliquer à répondre aux exigences latentes de nos<br />
visiteurs et ne pas aller contre. Et ces attentes, il faut les lire,<br />
d’une part, dans la difficulté de nos lecteurs à utiliser les outils<br />
traditionnels de la recherche (le catalogue), d’autre part dans les<br />
détournements que les lecteurs font des équipements que nous<br />
mettons à leur disposition car elles s’y expriment clairement 7 .<br />
6. En chaque usager se déploient plusieurs lecteurs qui s’expriment indépendamment<br />
les uns des autres à des moments différents de la journée ; chacun<br />
exigeant des modalités de lecture et de consultation différentes : consultation<br />
rapide debout, consultation décontractée en position assise semi allongée, position<br />
assise à une table… Même remarque sur les différents niveaux relationnels<br />
dans les bibliothèques ; un même lecteur pouvant à des moments différents<br />
rechercher la solitude, l’échange informel, l’échange à plusieurs dans le cadre<br />
d’une collaboration… Autant de niveaux de confort et d’échange qui peuvent<br />
alterner dans une même journée.<br />
7. J’ai toujours accueilli avec beaucoup de scepticisme les résultats d’enquêtes<br />
engagées vers le lectorat destinées à percevoir les attentes de ce dernier. Sans<br />
doute pour n’avoir jamais rien lu de bien pertinent à ce sujet. Je reste certain que<br />
les actes de nos lecteurs, leurs détournements des équipements, bien interprétés,<br />
constituent des matériaux plus intéressants si on les considère comme l’expression<br />
en acte de la liberté, de l’insouciance et de leur intelligence réunies.<br />
Le second c’est que la définition programmatique des équipements<br />
du livre – je désigne ici les bibliothèques publiques<br />
qui ne sont ni patrimoniales ni spécialisées, même si certaines<br />
d’entre elles disposent de sections de ce type – doit être établie<br />
selon des critères qui relèvent de l’usage constaté et non<br />
plus de paramètres bibliothéconomiques a priori.<br />
Ne doit-on donc pas procéder à une petite révolution<br />
copernicienne en se décidant enfin à créer des bibliothèques<br />
publiques pour nos lecteurs ?<br />
Autrement dit, l’organisation spatiale des bibliothèques<br />
ne serait plus à concevoir en fonction de sections établies<br />
selon les différents types de documents, voire les types de<br />
public qu’elles accueillent (sections Actualités, section Étude,<br />
section Références…), mais selon une typologie d’usages que<br />
nous désignerons sous la terminologie d’« univers », dans l’attente<br />
d’une définition plus précise. Chaque univers désignant<br />
des zones dédiées à des comportements d’usagers, à des<br />
critères de confort, à des postures de consultation…<br />
PREMIÈRE APPROCHE DE LA NOTION D’« UNIVERS »<br />
L’agence de conseil ABCD travaille actuellement sur un projet<br />
de réaménagement de la Bpi et la notion d’« univers » se<br />
place au centre de cette réflexion. Celle-ci est en cours, c’est<br />
pourquoi on se limitera à une première approche qui ne peut<br />
en aucun cas être considérée comme finalisée. C’est ici le principe<br />
qu’il faut retenir et non le détail de la proposition.<br />
Quelques éléments simples nous permettent d’approcher<br />
cette notion :<br />
• un univers correspond à un ensemble de pratiques<br />
homogènes destinées à ce que les usagers ne se gênent pas<br />
mutuellement ;<br />
• un univers définit une attitude vis-à-vis des autres : je<br />
suis solitaire et silencieux, je discute avec quelqu’un à haute<br />
voix, je travaille en groupe et échange à haute voix (et toutes<br />
les modalités d’échanges et de travail en groupe)… ;<br />
• un univers correspond à un type de confort global défini<br />
par : une ambiance acoustique, un éclairement approprié ;<br />
• un univers peut être dédié à une ou plusieurs postures<br />
de consultation (debout, assise avec table de travail, assise<br />
avec fauteuil, assise avec tablette…) ;<br />
• un univers peut être défini autour d’un service qui le structure<br />
(un service documentaire personnalisé par exemple) ;<br />
• un univers peut être défini par un service connexe de la<br />
bibliothèque : café, snack…<br />
• une bibliothèque est constituée de plusieurs univers<br />
contigus ou foisonnés ;<br />
• un univers est une zone définie spatialement…<br />
PIERRE FRANQUEVILLE Vers une bibliothèque d’univers 17