19.02.2015 Views

59735-47-48-intimites

59735-47-48-intimites

59735-47-48-intimites

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

DOSSIER<br />

© Michel Chaillou<br />

Michel Chaillou parmi ses livres.<br />

Encore aujourd’hui, dans une bibliothèque, je cherche toujours<br />

l’étagère défendue, pas ce qu’il est convenu d’appeler son<br />

enfer, mais plutôt ses paradis, les volumes qui, à loquet fermé,<br />

respirent la confidence et le secret. Comment écrire le secret<br />

sans le dévoiler, mon ambition actuelle.<br />

À la Bibliothèque nationale, alors essentiellement rue de<br />

Richelieu, Dieu seul sait le nombre de journées passées à lire<br />

ainsi au hasard (le hasard mon grand maître) au fichier matières<br />

pour échapper aux modes qui voient les lecteurs toujours se<br />

rassembler autour des mêmes ouvrages, cherchant au contraire<br />

celui dédaigné depuis des lustres, un ensemble de phrases<br />

encore lues par personne comme la fois où, retenu par un titre<br />

que je jugeais alors mystérieux : L’Heure de la nuit close, j’allais<br />

innocemment ouvrir un traité de mathématiques du dixneuvième<br />

siècle enfiévré d’inconnues, mais pas de la nature<br />

de celles que j’espérais alors rencontrer, car c’était l’époque où<br />

j’écrivais Le Rêve de Saxe, un livre sur le tourment amoureux et<br />

je m’essoufflais à déshabiller tous les récits y compris les plus<br />

populaires, argotiques même, qui de près ou de loin en avaient<br />

copieusement traité !<br />

Une bibliothèque pour moi, on l’a compris, c’est une chambre<br />

d’échos. Il ne faut pas seulement lire avec ses yeux, mais aussi,<br />

quand il s’agit d’une œuvre de style, écouter de toutes ses<br />

oreilles pour percevoir, vraiment entendre, la rumeur qui s’enfle<br />

ainsi de page en page, le livre bis, ter ou quater, le livre etc., le<br />

livre qui n’en finit pas de s’éterniser dans ses mots, la littérature<br />

somme toute, par exemple la mer continuée dans la mer qui se<br />

lasse d’être à l’instant nommée, reflux et flux de la beauté. ■<br />

Michel Chaillou tient un blog : www.michel-chaillou.com<br />

On peut y lire :<br />

« 23 octobre. Hier soir à la BN. À la sortie d’une brillante exposition<br />

de la Bibliothèque nationale vouée à la lecture, je me suis<br />

demandé si celle-ci était vraiment montrable, si ambitionner de<br />

la filmer, de la photographier en tous ses états ne conduisait<br />

pas immanquablement à n’attraper, figer que des postures ?<br />

L’essence de la lecture (sa fumée, son feu qui brûle le regard)<br />

ne risque-t-elle pas de s’évanouir dès qu’on s’efforce de la surprendre,<br />

cette tentative relevant même d’une certaine forme<br />

d’indécence comme de vouloir pénétrer par effraction dans<br />

la chambrée intime que constitue tout lecteur avec son livre ?<br />

Aussi ma gêne grandissait-elle de voir ainsi livrée au public<br />

intrus l’âme d’une solitude partagée qui se déshabille de page<br />

en page.<br />

Mais je n’appartiens pas à cette société du spectacle, je suis d’un<br />

autre temps, d’un temps avec marges où j’aime m’accouder. »<br />

MICHEL CHAILLOU L’Heure de la nuit close 49

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!