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DOSSIER<br />

ville, en week-end, etc.). Signe également que ces utilisateurs<br />

entendent soustraire au regard et au contrôle leurs pratiques,<br />

recherchant par conséquent non pas la tranquillité – comme<br />

les autres – mais l’isolement et la séparation.<br />

Le 4 e étage s’élève dans la « noblesse culturelle » et dans<br />

l’abstraction pour regrouper les disciplines du livre et de l’esprit.<br />

De fait, se trouvent ici les quartiers de la philosophie et<br />

psychologie (Nord-Ouest), des arts (Nord-Est) ainsi qu’un<br />

vaste espace couvrant l’ensemble de l’aile Sud consacré à la<br />

linguistique et surtout aux littératures française et étrangères.<br />

La vidéothèque, au milieu de l’aile Sud, pourrait faire figure<br />

d’intruse dans cette empyrée bibliolâtre, mais sa présence ici<br />

n’est pas incongrue, un puissant effet de contrôle social jouant<br />

pour la préserver d’un usage trop récréatif.<br />

Une étudiante en mobilité internationale. Francesca,<br />

25 ans, L3 d’Histoire contemporaine, en échange Erasmus<br />

(Rome), fidèle de l’un des postes informatiques (box) du 2 e<br />

Sud (devant l’entrée de la salle des thèses), a un usage privatif<br />

des services informatisés de la BU, qu’elle utilise avec une<br />

amie. Elle passe sans cesse entre Wikipédia pour son dossier<br />

d’histoire et une recherche de locations d’été à Venise, un vol<br />

Toulouse-Venise pour son amie. Elle ne fait aucune séparation<br />

entre temps studieux et temps pratique dans ses séjours réguliers<br />

et prolongés (3-4h) devant un poste informatique. Elle<br />

travaille sur écran, avec une clé USB, se déplace pour consulter<br />

un ouvrage qu’elle repose rapidement sur le rayonnage.<br />

Francesca fait partie des occupants réguliers et fidèles de<br />

l’un des box avec ordinateur situés au 2 e étage ; on peut dire<br />

que, sans avoir de carte de bibliothèque, elle appartient au<br />

groupe – sans doute important – des « séjourneurs » de la BU<br />

qui utilisent beaucoup les services et les collections tout en<br />

restant invisibles dans les statistiques d’enregistrement. Elle<br />

fait partie de ces étudiants qui, à force de fréquenter la BU,<br />

finissent par se l’approprier et plier à leurs propres habitudes<br />

d’usage les parties et les services qu’ils utilisent le plus.<br />

Début mai 2007, 16h. Lorsque je l’aborde, elle consulte<br />

depuis une bonne demi-heure Internet en compagnie d’une<br />

amie à qui elle explique pas à pas la procédure de recherche,<br />

clé USB branchée et prête à saisir les sites et les pages qui l’intéressent.<br />

À mon arrivée, les deux étudiantes sont à peine troublées<br />

par l’aveu qu’elles me font d’une recherche d’annonces<br />

de location d’une chambre à Venise pour 2008. Tout en poursuivant<br />

son exploration des sites d’annonces de location, Francesca<br />

m’explique que « cette bibliothèque est tout » pour elle : foyer,<br />

point de rencontres, point ressources pour les informations et<br />

la documentation. Pour Francesca, étudiante Erasmus en mobilité<br />

internationale occupant une chambre en cité U, éloignée<br />

de sa famille, de ses amis, de son université d’origine, la BU<br />

est un refuge et un centre de services de valeur inestimable.<br />

C’est là qu’elle vient systématiquement entre les cours, après<br />

les cours, mais c’est là aussi que se déroule sa vie : scolaire, pratique,<br />

artistique, sociale à distance, sociale de proximité. Alors<br />

qu’elle passe son temps devant un écran, on voit bien que les<br />

pratiques de navigation de Francesca, même lorsqu’elles débordent<br />

l’usage scolaire et documentaire, restent instrumentales et<br />

n’ont rien en commun avec celles des « passagers clandestins »<br />

qui les utilisent comme le seul accès aux informations.<br />

On trouve aussi dans cet étage protégé une grande majorité<br />

d’usagers solitaires, régulièrement entourés de plusieurs<br />

ouvrages extraits des rayons, restant souvent une demi-journée,<br />

voire une journée entière. Beaucoup plus de femmes que<br />

d’hommes dans cet espace, ceux-ci étant souvent plus âgés<br />

que celles-là (les garçons mettent en général plus de temps à<br />

se construire en conformité avec ce modèle studieux). Si le taux<br />

de féminité semble régulièrement inférieur à celui de l’Université<br />

au 2 e étage, où de nombreux garçons viennent mettre en<br />

œuvre des usages « hétérodoxes », il monte avec les niveaux du<br />

bâtiment et le degré de légitimité littéraire. Au 4 e on trouve un<br />

public correspondant assez largement au lecteur idéal, lettré,<br />

studieux et autonome. On est enfin dans une vraie bibliothèque.<br />

Mais, à côté de ce public, s’est développé un public nouveau,<br />

tout aussi autonome, fait d’internautes indépendants (portable<br />

et câble privés), plus âgés (25 ans), travaillant à l’écran, souvent<br />

entourés de supports imprimés. Ces usagers, tout aussi<br />

autonomes que les lecteurs lettrés, trouvent naturellement leur<br />

place ici, à côté des experts et parmi eux ; ils plaisent beaucoup<br />

aux bibliothécaires parce qu’ils sont solitaires, silencieux<br />

et immobiles. Le digital native, figure idéale de la bibliothèque<br />

(universitaire) à l’avenir ? ■<br />

MARIANGELA ROSELLI Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les usagers de votre BU… sans jamais oser le leur demander… 39

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