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DOSSIER<br />
contraire à leur mission de rendre des<br />
postes réservés à la recherche documentaire accessibles<br />
à un usage d’ordre privé.<br />
De plus en plus de bibliothèques sont revenues sur cette<br />
position après un agrandissement de leur parc informatique,<br />
pour des raisons technologiques, mais aussi parce qu’à l’heure<br />
des blogs et des outils de communication et d’information du<br />
web 2.0, la frontière entre communication et information n’est<br />
plus aussi imperméable qu’autrefois. Dans nos universités, les<br />
espaces numériques de travail (ENT) intègrent tous des vices de messagerie puisque les universités ont développé des<br />
ser-<br />
messageries institutionnelles. Il devient difficile pour l’usager<br />
final de penser qu’aujourd’hui on puisse lui refuser un service<br />
de connexion Internet, surtout à l’heure des forfaits ADSL et de<br />
l’installation du wifi dans les jardins publics.<br />
ENTRE COMMUNICATION INTIME<br />
ET OUVERTURE À L’INFORMATION<br />
Dès 2002, Olivier Martin et François de Singly s’interrogeaient<br />
sur le degré « d’individuation » du téléphone portable<br />
1 . Dans leur enquête, les auteurs soulignent le paradoxe<br />
de cet objet tout à la fois intime et instrument de relation :<br />
« Le portable constitue la preuve que l’individualisation n’est<br />
pas contraire au lien social (…). Le processus central de l’autonomie<br />
dans les sociétés modernes avancées valorise l’individu,<br />
sa liberté, non pas pour s’enfermer sur soi, mais pour<br />
choisir les personnes avec lesquelles il veut être en contact.<br />
L’individualisme contemporain est “relationnel” et il prend<br />
plusieurs formes. »<br />
Alors, comment réagir en bibliothèque lorsque ces usages,<br />
« intimes » ou « privés », surgissent dans nos espaces ?<br />
1. Olivier Martin et François de Singly, « Le téléphone portable dans la vie conjugale.<br />
Retrouver un territoire personnel ou maintenir le lien conjugal ? », Réseaux,<br />
2002, n° 112-113, pp. 212 à 2<strong>48</strong>.<br />
Sont-ils réellement perturbateurs<br />
de l’espace<br />
« public » ? Et comment<br />
réagir dès lors que le<br />
téléphone portable, traditionnellement<br />
refusé<br />
en bibliothèque à cause<br />
de son usage historique<br />
– celui de la conversation<br />
orale – est devenu<br />
un support courant de<br />
recherche d’information ?<br />
Posons-nous la question sous l’angle du degré de perméabilité<br />
entre espaces publics et privés. Peut-on réellement projeter<br />
une confidentialité, une intimité dans un espace public ?<br />
La réponse de bon sens serait : « Oui, tant que cela implique<br />
le respect d’autrui, des règles de courtoisie, du règlement<br />
en vigueur, et n’enfreint pas la loi. Non, dans le cas inverse,<br />
lorsque son activité n’est pas adaptée au lieu et dérange les<br />
autres usagers. » C’est sur cette base que les bibliothécaires<br />
régulent les usages et les comportements en dédiant les<br />
espaces des locaux publics à certaines activités plus ou moins<br />
sonores, par salle ou par tranche horaire : salle de consultation,<br />
heure du conte, animation musicale… Et sur elle encore<br />
que les usagers règlent d’eux-mêmes leur comportements,<br />
tant à leur propre égard qu’à celui d’autrui. Cette autorégulation<br />
du public, plus fine et plus circonstanciée que ce qui<br />
peut lui être imposé par l’agencement des espaces ou l’intervention<br />
du personnel au nom du règlement, vise à rétablir<br />
l’équilibre entre les intimités. Chacun vaque à ses occupations<br />
sans déranger le voisin. C’est un mécanisme informel, complémentaire<br />
à la régulation par les bibliothécaires.<br />
La question est donc d’établir où se situe la ligne de tolérance<br />
de l’intimité dans l’espace public. La première frontière<br />
est franchie à l’instant où l’usage du téléphone implique<br />
ÉMILIE BETTEGA et CÉCILE SWIATEK L’espace public de la bibliothèque à l’épreuve du téléphone portable 41