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DOSSIER<br />

ce que confirme son accent. Abordé à sa sortie de la salle, il ne<br />

fait aucune difficulté pour répondre à mes questions.<br />

Mercredi 17 octobre 2007, 2 e Nord, 11h00 : interrogé sur<br />

son activité précise sur le poste informatique, Mouss fait<br />

immédiatement référence aux « études » (« concernant les<br />

études, j’ai des cours et des exercices à faire ») pour désigner<br />

la formation professionnelle qu’il suit et qui devrait lui<br />

permettre de devenir conducteur d’engins dans le bâtiment.<br />

Il a passé du temps sur Internet<br />

sur le site de « l’école » dans<br />

laquelle il se forme et qui propose<br />

un « thésaurus » en ligne<br />

avec des résumés de cours, une<br />

foire aux questions, etc. Mouss<br />

estime qu’il est resté environ<br />

deux heures sur l’ordinateur,<br />

en comptant le petit moment de<br />

détente où il est allé chercher<br />

des informations sur Cartouche<br />

(« c’est un artiste que j’aime<br />

bien »). Pour ce qui est de sa<br />

formation, il a l’habitude de ces<br />

recherches de renseignements.<br />

L’école, en fait le centre de formation<br />

dans lequel il est inscrit,<br />

possède un site web sur lequel<br />

les étudiants peuvent se rendre<br />

pour poser des questions, revoir des points de cours (« on<br />

peut consulter ce qu’on appelle le “thésaurus” »). Comme la<br />

plupart du temps, la recherche de Mouss a été fructueuse ;<br />

il semble familier de ce type de démarche, sait ce qu’il va<br />

chercher et, en général, il trouve. Quand ce n’est pas le cas, il<br />

patiente jusqu’à ce qu’il puisse parler directement avec un des<br />

formateurs. Indubitablement, Mouss est aussi pragmatique<br />

que patient et méthodique. Sa « tenue » et son niveau de<br />

langue m’intriguent, ne correspondant pas du tout à l’habitus<br />

ouvrier que l’on pourrait s’attendre à rencontrer. Ses origines<br />

sociales et son parcours expliquent cet état de fait.<br />

Mouss est algérien, fils de professeur et, dans son pays,<br />

ingénieur d’État en zootechnie (« c’est la production animale<br />

»). Il est arrivé en France avec sa femme et un jeune<br />

enfant en 2000 mais le couple est rapidement parti s’installer<br />

au Canada (« on a essayé de faire quelque chose là-bas<br />

dans le cadre de l’immigration »). L’expérience canadienne<br />

a tourné court, Mouss évoquant à ce propos des difficultés<br />

à s’adapter là-bas. Il a ensuite été inscrit à l’UTM en 2004,<br />

un an en géographie. Depuis deux ans, il est bénévole dans<br />

une association de soutien scolaire dans le quartier du Mirail.<br />

Aujourd’hui, la formation professionnelle, l’association<br />

dans laquelle il s’investit et la vie domestique semblent être<br />

les trois composantes à peu près exclusives de sa vie depuis<br />

deux ans. Ce type d’usager, l’enquête a montré qu’il était peu<br />

fréquent mais bien présent, tous les jours, à toute heure, au 2 e<br />

Nord. Mouss dit venir deux à trois fois par semaine pour utiliser<br />

l’accès Internet. Il possède un PC mais n’a pas d’accès au<br />

web et, de plus, son ordinateur est en panne depuis quelques<br />

jours. Sa femme est aussi en formation,<br />

elle a des « devoirs » à<br />

transmettre par e-mail et Mouss<br />

les envoie quand il vient à la BU.<br />

Cet équipement universitaire<br />

remplit pour lui et quelques<br />

autres habitants du quartier une<br />

fonction primordiale, notamment<br />

en matière d’insertion. L’usage<br />

que Mouss peut faire de la BU se<br />

limite aux postes informatiques<br />

en libre accès, il n’est jamais allé<br />

dans les étages supérieurs. Dans<br />

son utilisation des équipements<br />

informatiques de la BU, il a rarement<br />

eu l’occasion d’entrer en<br />

contact avec les personnels, en<br />

fait il ne l’a fait qu’à une seule<br />

reprise, et avec une demande<br />

très spécifique : « Euh, j’avais besoin d’un ordinateur qui ait<br />

le clavier en arabe et j’avais demandé et la personne m’avait<br />

dit que ça n’existe pas ici. Moi, c’était juste parce que là où je<br />

travaille, enfin à l’association, nous avons des bénéficiaires<br />

qui ne parlent pas le français, donc il faut faire des affiches<br />

utilisant l’arabe, par exemple. »<br />

Le petit capital culturel légitime de Mouss lui a permis<br />

d’entrer en contact avec des membres du personnel probablement<br />

plus spontanément que la plupart des habitants du<br />

quartier qui viennent à la BU. Toutefois cette interaction est<br />

restée isolée et Mouss est devenu typiquement un usager<br />

marginal, tirant discrètement, presque subrepticement, un<br />

maigre profit de la présence du campus et de ses équipements<br />

au cœur d’un quartier très défavorisé.<br />

Le trait sociologique marquant de ces portraits est la<br />

conscience d’importer des pratiques inédites, voire illicites<br />

ou déviantes, et le sentiment de ne pas remplir tous les critères<br />

lettrés requis implicitement par cet univers savant : la<br />

BU, malgré les TIC, met en scène plutôt un patrimoine littéraire<br />

que des outils de diffusion et de circulation de contenus.<br />

MARIANGELA ROSELLI Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les usagers de votre BU… sans jamais oser le leur demander… 37

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