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DOSSIER<br />

PHILIPPE LEJEUNE<br />

Université Paris XIII<br />

Président de l’APA<br />

© APA<br />

Les écrits de l’intime,<br />

mémoires, journaux,<br />

correspondances,<br />

sont expression de la<br />

vie avant que d’être<br />

témoignages du passé<br />

que le temps dilapide. Il<br />

fallait sauver au présent<br />

ce dont les historiens<br />

du futur déploreraient la<br />

disparition. L’Association<br />

pour l’autobiographie N ous sommes à Ambérieu-en-<br />

Bugey (01), à 40 km de Lyon, au<br />

s’en est chargée.<br />

1 er étage de la médiathèque de la<br />

ville, la Grenette, dans une grande<br />

et haute salle à voûte lambrissée :<br />

quatre tables bien équipées, avec<br />

éclairage tamisé et branchement<br />

pour ordinateur, accueillent ceux<br />

qui viennent lire sur place les<br />

textes personnels inédits du fonds<br />

APA, réserves.<br />

de l’Association pour l’autobiographie<br />

(APA). S’agit-il d’une bibliothèque, ou bien d’archives ?<br />

Les deux à la fois. Voici l’histoire.<br />

GENÈSE<br />

L’éternité<br />

au présent<br />

La Grenette, bibliothèque de l’intime<br />

Fin des années 1980, j’étais chercheur en autobiographie.<br />

Je travaillais sur les écritures ordinaires du XIX e s. Plusieurs<br />

fois, à l’occasion d’émissions radio ou d’entretiens dans des<br />

journaux, j’ai lancé des appels : « Si vous avez des mémoires,<br />

journaux, manuscrits du XIX e s. dans vos archives familiales,<br />

cela m’intéresse… » On me répondait normalement, je progressais<br />

dans mes recherches, jusqu’au jour où j’ai reçu une<br />

lettre qui commençait ainsi : « Monsieur, je vous écris pour<br />

vous informer que je n’ai pas de manuscrits du XIX e siècle dans<br />

mes archives… » Après quelques phrases embarrassées, la<br />

personne me proposait de lire sa propre autobiographie, en<br />

s’excusant de n’être pas du XIX e s.… J’ai souri, j’ai accepté.<br />

Mais après avoir reçu plusieurs lettres de ce type, j’ai mieux<br />

perçu qu’il y avait un problème – et qu’à moi seul je ne pourrais<br />

le résoudre.<br />

Le problème, c’est que la société française n’est guère<br />

accueillante pour les écrits personnels des inconnus. On a<br />

tenu un journal, rédigé des souvenirs, gardé une précieuse<br />

correspondance, composé son autobiographie… On aimerait,<br />

au minimum, que cela vous survive, que cela reste quelque<br />

part, mais où ? On rêve aussi de se faire lire par quelqu’un<br />

avec qui on pourrait ensuite parler… Éditer ? Ce serait le rêve.<br />

Mais il y a plus de 99 % de chances de refus. Le confier aux<br />

archives du département ou de la ville ? On n’y prend que<br />

les papiers des morts, et plutôt des vieux morts, notables ou<br />

célèbres. Votre famille ? Les familles aiment les souvenirs collectifs<br />

et les albums photos, elles se méfient de ceux qui font<br />

cavalier seul, elles n’aiment guère les journaux et les autobiographies.<br />

On brûlera tout à votre mort : « Ça ne peut intéresser<br />

personne. » Vous êtes désespéré, et vous m’écrivez. À mon<br />

tour d’être embarrassé. Impossible d’entasser cela chez moi :<br />

moi aussi, quand je mourrai, on videra tout ! Et même, comme<br />

lecteur, puis-je avoir compréhension et sympathie pour n’importe<br />

quelle expérience humaine ? J’ai mes limites !<br />

En 1988, j’ai entrevu la solution : en Italie, près d’Arezzo,<br />

dans un petit village, Pieve Santo Stefano, un journaliste italien,<br />

Saverio Tutino, organisait depuis quatre ans un concours<br />

annuel d’autobiographie. Je suis allé voir sur place. La municipalité<br />

mettait à sa disposition des locaux pour archiver, il avait<br />

recruté une commission de lecture dans la population locale, il<br />

recevait chaque année deux cents textes, en sélectionnait dix,<br />

donnait le prix à l’un d’eux, mais surtout cataloguait et archi-<br />

62 Bibliothèque(s) - REVUE DE L’ASSOCIATION DES BIBLIOTHÉCAIRES DE FRANCE n° <strong>47</strong>/<strong>48</strong> - décembre 2009

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