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[Notes de lecture<br />
Les bibliothèques éditent<br />
Collectif ss la dir. d’Olivier Piffault,<br />
Babar, Harry Potter & Cie. Livres<br />
d’enfants d’hier et d’aujourd’hui, BnF,<br />
2008, 580 p., 251 ill. et dépliant coul.,<br />
17,5 x 21 cm, ISBN 978-2-7177-2422-6<br />
Présentée du 14/10/08 au 11/04/09 à<br />
la BnF sur le site François Mitterrrand,<br />
l’exposition dont cet ouvrage est le catalogue consacrait<br />
l’intégration récente, début 2008, de La joie par les livres au sein<br />
de la BnF. Pour brosser le vaste panorama des ouvrages destinés à<br />
la jeunesse – de la publication en 1658 de l’Orbis sensualium pictus<br />
de Comenius à celle des Trois brigands de Tomi Ungerer (1968) –,<br />
ce ne sont pas moins de dix-sept fées qui se sont penchées<br />
sur le berceau du jardin d’enfants de l’édition. Universitaires,<br />
formateurs, journalistes, éditeurs, critiques, conservateurs de la<br />
BnF et piliers du CNLJ-JPL : tous les grands noms associés à la<br />
littérature enfantine étant au générique, leur énumération devient<br />
superflue. Il faut en revanche souligner l’habile découpage de ce<br />
volume imposant. En insérant la chronologie dans une approche<br />
thématique, les focales varient, la vie circule. L’alternance classique<br />
entre articles introductifs et notices des 250 pièces exposées, le<br />
repérage efficace de ces dernières 1 , ce qu’il faut d’encadrés et de<br />
sous-chapitres confèrent une remarquable souplesse à l’ouvrage<br />
qui, de ce fait, peut se lire agréablement dans la continuité ou être<br />
consulté dans le désordre par petites tranches. L’écriture, enfin,<br />
vise avec succès un public très large : l’échafaudage scientifique a<br />
été retiré, reste l’essentiel qui, bien pesé, tient en des mots simples<br />
et un discours aisé. Entrons.<br />
Après un rapide parcours historique fournissant une vue<br />
d’ensemble, cette production foisonnante (Corinne Gibello-<br />
Bernette) est envisagée sous trois perspectives : le public, en<br />
parcourant la pyramide des âges ; le document et son évolution ; les<br />
usages et leurs enjeux. « Du bébé à l’enfant-lecteur à la découverte<br />
du livre » balaye la typologie de la production – livres pour bébés,<br />
livres de l’oralité (comptines, rondes et chansons), abécédaires,<br />
livres de jeux, albums, pop-ups… –, en pointant comment s’y<br />
transcrivent les enjeux idéologiques et les influences étrangères<br />
1. Dues à Corinne Gibello-Bernette, Carine Picaud et Olivier Piffault.<br />
(anglaise, allemande, slave, russe), comment peu à peu l’image<br />
s’associe au texte et finit par s’imposer. Deuxième grand volet,<br />
« Le livre exploré » interroge formes et contenus. Il s’attache à<br />
retracer l’apparition de la bande dessinée et sa légitimation sujette<br />
à polémique (O. Piffault), des livres de vulgarisation, manuels et<br />
documentaires (F. Hache-Bissette), le développement de genres<br />
à succès (aventure, fantasy) qui à leur tour soulèvent la question<br />
des enjeux littéraires (F. Ballanger) et de la traduction (I. Nières-<br />
Chevrel) dans le roman pour la jeunesse. « Grands enfants, petits<br />
adultes : les enjeux » rassemble pour finir les problématiques<br />
sensibles dans le champ d’une littérature destinée à un public en<br />
formation, instrumentalisée en jouant des armes de la prescription<br />
et de la censure (J.-Y. Mollier). Terrain de choix pour la propagande<br />
religieuse aux prises avec la sécularisation progressive de<br />
l’enseignement, lieu désigné pour l’expérimentation pédagogique<br />
(M. Butlen), la production est électrisée de courants contraires.<br />
Mais au fait, tandis que les grands s’empoignent à leur sujet, ces<br />
enfants, objets de toutes les attentions, « que lisent-ils vraiment ? »<br />
(N. Diament). Et quelle place tiennent désormais le livre et la<br />
lecture dans leur imaginaire et leurs pratiques quand le cinéma,<br />
la télévision, et maintenant internet doublent, accompagnent,<br />
concurrencent l’imprimé (L. Aknin, O. Piffault) ? L’économie qui n’a<br />
jamais été absente des politiques éditoriales prend ici les devants :<br />
l’enfance est un marché.<br />
Tout au long de l’ouvrage, les enjeux théoriques sont signalés, les<br />
grandes lignes des problématiques et des polémiques historiques<br />
résumées sans alourdir le propos de discussions argumentées :<br />
notes et bibliographies indiquent les pistes à suivre. En revanche,<br />
quelques encadrés replacent sous les projecteurs des créateurs<br />
oubliés, redressent des perspectives (notamment sur les séries de<br />
best-sellers). Bien que beaucoup d’encre ait coulé à son sujet, N.<br />
Diament déplorait que « l’édition et la littérature pour la jeunesse<br />
française n’ont pas de mémoire ». Voici donc un incontournable<br />
jalon qui pourra servir de tremplin pour la redécouverte de<br />
son passé. Car par les partis que l’on vient d’énoncer, Babar,<br />
Harry Potter et Cie est propre à intéresser un public très large,<br />
et sa diffusion devrait s’étendre bien au-delà du cercle des<br />
professionnels et des savants.<br />
Philippe LEVREAUD<br />
Histoires de livres, livres d’histoire<br />
Élisabeth Verdure, Cartonnages<br />
romantiques, 1840-1870. Un âge d’or de<br />
la reliure du livre d’enfants, Éd. Stéphane<br />
Bachès, 2008, 144 p., 22,5 x 30,5 cm, ill.,<br />
ISBN 978-2-915266-74-0<br />
Rose dragée, bleu glacier, vert pastel ou<br />
vert gazon, mauve tendre, rouge madras,<br />
bleu de Bretagne, et or, de l’or à foison,<br />
en arabesques, en entrelacs, en décor floral, à l’égyptienne,<br />
moussant autour de touchants médaillons peints… L’univers<br />
des « cartonnages romantiques » est une bonbonnière dans<br />
laquelle on plonge avec délice dès lors que l’on s’y abandonne.<br />
Car devant tant de séductions sucrées, tout esprit sérieux fait la<br />
moue, la fine bouche. Notre regard contemporain ne voit là que<br />
produits en série, reliures fragiles et souvent abimées, textes<br />
édifiants sans intérêt, bref, une marchandise dépréciée pour les<br />
uns, un sous-produit culturel pour les autres. Rideau.<br />
124 Bibliothèque(s) - REVUE DE L’ASSOCIATION DES BIBLIOTHÉCAIRES DE FRANCE n° <strong>47</strong>/<strong>48</strong> - décembre 2009