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Notes de lecture]<br />
du ton, révélateur du glissement de la sensibilité et des<br />
libertés prises avec les conventions par lequel on est<br />
passé du « télégraphe obsolète au SMS balbutiant ». Les<br />
annonces mondaines migrent vers le Figaro, le travail devient<br />
méritoire, les rôles sociaux s’affichent ou s’effacent devant<br />
les engagements plus personnels, les femmes se rendent<br />
visibles en se dépouillant du nom de leur mari, l’enfantroi<br />
fait son apparition. Le reflet de l’ego de l’annonceur a<br />
supplanté la fonction strictement informative dans un Carnet<br />
métamorphosé. Foin pourtant d’une lecture univoque, c’est<br />
une série d’ambivalences qui se dégagent, caractéristiques<br />
d’une époque qualifiée tour à tour de post-, d’hyper- ou de surmoderne,<br />
et qui peuvent se résumer ainsi : cette exposition<br />
croissante de l’intimité témoigne-t-elle d’une individualisation<br />
qui fait éclater le vernis social ou bien traduit-elle au contraire<br />
une culture de la petite différence narcissique dans une société<br />
uniformisée ? L’ouvrage se consacre pour les deux tiers aux<br />
avis de décès et aux messages anniversaires où se donnent<br />
à lire le rapport à la mort et le fait religieux, mais aussi la<br />
relation au politique. Les leçons d’instruction civique et le<br />
conflit entre catholiques et laïques s’estompent, se produit<br />
un « éboulement » dans les mots : un syncrétisme s’esquisse<br />
reposant non plus sur des dogmes mais sur des valeurs<br />
consensuelles, relevant comme il est dit ici d’un « humanisme<br />
transcendantal ». Après le défilé des non-conformistes des<br />
années 1930 et les générations imprégnées d’existentialisme,<br />
l’individu s’impose, désormais « source de la norme et du<br />
sens ». Mais si l’on assiste au « découronnement » du<br />
père, on constate que les mères restent une « valeur refuge<br />
inexpugnable ».<br />
Daniel et Françoise Rivet exploitent brillamment cette mine<br />
riche en pépites, excellent à dégager de cette mosaïque les<br />
figures du temps et à souligner comment ces simples avis<br />
témoignent de multiples relectures de l’Histoire 1 . Enfin,<br />
les abondantes citations étant assorties de commentaires<br />
lapidaires, volontiers subjectifs, parfois ironiques mais<br />
toujours très ajustés sur la « nounourserie » des uns ou la<br />
« lucidité un peu rêche » des autres, ce qui aurait pu n’être<br />
qu’un ouvrage assez sec offre une lecture de bout en bout<br />
savoureuse.<br />
Philippe LEVREAUD<br />
1. Hasard ? La lecture de cet ouvrage entre en résonance, tant par l’objet que par la<br />
méthode, avec celui d’Anne-Claire Rebreyend, mentionné ici-même p. 64. Leur lecture en<br />
parallèle est riche en harmoniques.<br />
Gilles Sauron, Dans l’intimité des<br />
maîtres du monde. Les décors privés<br />
des Romains, Picard, coll. « Antiqua »,<br />
2009, 304 p., ill., 24,5 x 33 cm, ISBN<br />
978-2-7084-0837-1<br />
Auteur d’un ouvrage sur La grande<br />
fresque de la villa des Mystères à<br />
Pompéi, mais aussi de L’Histoire<br />
végétalisée. Ornement et politique<br />
à Rome, l’auteur, professeur<br />
d’archéologie romaine à la Sorbonne spécialiste de l’art<br />
romain, s’intéresse à la « sémantique architecturale » et « aux<br />
rapports de formes et de significations entre les décors publics<br />
et les décors privés des Romains ». Il n’est pas question ici<br />
de rendre compte dans le détail de ce livre savant auquel<br />
une iconographie et une présentation somptueuse confèrent<br />
l’aspect trompeur de ce qu’il est convenu d’appeler un « beau<br />
livre » (ce qu’il est aussi, assurément). Le recours permanent<br />
aux textes pour étayer l’interprétation, les nombreuses<br />
discussions critiques – au ton parfois fort polémique –<br />
engagent bien des pages dans des querelles scientifiques qui<br />
ne nous retiendront pas ici. Ce seront plutôt les deux chapitres<br />
consacrés à la bibliothèque de la fameuse villa des Papyrus<br />
d’Herculanum (270 m de long en front de mer… et reconstruite à<br />
Malibu pour accueillir les collections du musée Getty !) dont les<br />
fouilles au XVIII e s. ont livré, outre un impressionnant ensemble<br />
de statuaire, pas moins de 2 000 rouleaux carbonisés. Parmi<br />
ceux-ci figurait une exceptionnelle collection de manuscrits<br />
épicuriens dus à Philodème, familier de Pison, un beau-père<br />
de César. La discussion qui s’ensuit porte sur le rapport entre<br />
la philosophie du propriétaire et ce qui se peut lire de l’univers<br />
auquel renvoie la construction et qui se résume ainsi : « Une<br />
villa peut-elle être aussi épicurienne que son propriétaire ? »<br />
Au risque de simplifier un peu la conclusion, celle-ci se ramène<br />
au constat d’un célèbre ouvrage de Paul Veyne : le recours<br />
au mythe n’implique pas une adhésion naïve. Méditer cette<br />
question nous ramène à envisager, à la lumière de ce travail<br />
historique, le débat sur l’architecture et le décor public dans<br />
sa relation à l’intime qui nous agite au présent. Citons donc les<br />
derniers mots de l’ouvrage qui aborde tant d’autre sujets (des<br />
« Inspirations pythagoriciennes » à « L’influence de la contresociété<br />
élégiaque » en passant par les « Intérieurs de femmes »<br />
ou « Chez Tibère : la mise en scène astrologique du destin de<br />
l’Empereur ») pour questionner le « besoin de décors » des<br />
Romains : « Si les Romains ont tant eu besoin de s’entourer<br />
dans les espaces de leur vie privée de décors où peinture,<br />
sculpture, architecture, art des jardins, aménagements<br />
aquatiques et perspectives sur d’amples paysages se<br />
disputaient la primauté, c’est sans doute qu’ils ressentaient<br />
la nécessité de compenser la vie active qu’ils s’imposaient sur<br />
le terrain public, notamment dans les domaines de la politique,<br />
de l’administration et de l’armée, par un goût qui ne fit que se<br />
développer pour la contemplation. »<br />
Pierre DANA<br />
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