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DOSSIER<br />

pour ne donner que quelques exemples, les partis pris suivants<br />

ont pu être constatés : une cuisine du personnel aux<br />

parois vitrées, dans laquelle les commensaux sont exposés<br />

(et vice versa) au regard de leurs collègues installés<br />

dans les bureaux mitoyens ; ailleurs, il est inévitable de<br />

traverser le petit espace meublé utilisé par le personnel<br />

pour ses pauses (y compris déjeuner) afin d’accéder à des<br />

bureaux ; peuvent s’ajouter à cette liste les bureaux, pourtant<br />

déjà bien servis en lumière naturelle, comportant tous<br />

une fenêtre (dépourvue de store) donnant sur le couloir.<br />

Ainsi, même si on peut s’isoler du bruit, on ne se soustrait<br />

jamais aux regards des collègues, même dans un bureau<br />

de direction. L’absence de poste de travail individualisé<br />

(bureaux « tournants ») contribue également à la surexposition<br />

au collectif.<br />

Ces modes d’organisation permettent le contrôle entre<br />

pairs, et même de la part des usagers, mais ils peuvent<br />

donner lieu également à des tensions plus fortes sur le lieu<br />

de travail. Les espaces de retrait constituent en effet une<br />

variable classique de régulation des conflits.<br />

ÉVALUER L’INTIME<br />

Les règles qui déterminent la place de chacun au sein des<br />

bibliothèques ont changé. Cette place a longtemps été définie<br />

en fonction des catégories déterminées au moment du recrutement,<br />

de préférence par concours. Si les catégories jouent<br />

toujours un rôle important, elles sont concurrencées par une<br />

autre forme de positionnement, à partir des compétences que<br />

l’on reconnaît au bibliothécaire.<br />

Il est d’usage en gestion des ressources humaines de<br />

distinguer trois types de compétences : les savoirs (connaissances),<br />

le savoir-faire (mise en œuvre), les savoir être (comportements,<br />

manière d’être). Avec la mise en place d’une<br />

évaluation formalisée, à la fois plus ouverte et plus exigeante<br />

que la traditionnelle notation, des dimensions de la personne<br />

habituellement considérées comme intimes deviennent<br />

sujettes au contrôle organisationnel. Ceci peut représenter<br />

une opportunité pour certains agents, dans la mesure où des<br />

qualités personnelles et des comportements qui ne sont pas<br />

liés au statut peuvent être reconnus dans un profil de poste et<br />

une évaluation. Mais ce processus porte en lui des contraintes<br />

fortes qui pèsent autant sur l’évaluateur que sur l’évalué car il<br />

oblige à poser la question des frontières du contrôle organisationnel<br />

et hiérarchique sur le subordonné : jusqu’à quel point<br />

de dévoilement faut-il aller pour identifier des efforts ou au<br />

contraire un manque d’implication, en particulier dans le cas<br />

de subordonnés qui préservent soigneusement leur intimité et<br />

© Bibliohèque(s)<br />

Médiathèque de Gradignan (33), des espaces de repos<br />

pour les bibliothécaires… tout en transparence.<br />

restent dans l’ombre tout en attendant d’être reconnus pour<br />

la qualité de leur travail ? Peut-on raisonnablement tenter de<br />

conformer les individus à des standards comportementaux<br />

(maîtrise des émotions, disponibilité au conseil…) durant tout<br />

le temps de travail ? L’évaluateur est contraint de chercher un<br />

équilibre entre ce qui est exposé à son jugement et ce qu’il<br />

laisse hors de son champ d’évaluation, ce qui n’empêche pas<br />

qu’il puisse être perçu comme une autorité soit intrusive soit<br />

indifférente.<br />

Les risques potentiels des modes d’organisation trop<br />

cloisonnés (statuts, activités, espaces) sont bien identifiés :<br />

difficulté de coordination des personnels, manque de reconnaissance<br />

et d’implication. Mais au-delà de ses promesses,<br />

le décloisonnement génère à son tour des dysfonctionnements,<br />

des troubles psychosociaux liés à la surexposition du<br />

salarié au regard des autres, à la mise en danger de l’espace<br />

intime dans l’exercice du métier. Les contraintes inhérentes<br />

aux nouveaux modèles de bibliothèques, les besoins de souplesse<br />

(horaires d’ouverture, polyvalence des personnels…),<br />

l’évolution de la fonction soutiennent les logiques de décloisonnement.<br />

Ces évolutions sont susceptibles de mettre à nu<br />

le bibliothécaire si l’on ne protège ou ne réhabilite pas un<br />

espace personnel dans le cadre de travail.<br />

Que ces quelques réflexions ne soient pas perçues comme<br />

l’expression d’une quelconque nostalgie à l’égard des bibliothèques<br />

du passé – et souvent encore du présent… Elles ne<br />

sont que témoignage d’interrogations qui naissent dans le<br />

quotidien du travail, de questionnements sur des choix que<br />

l’on fait, sur leurs conséquences que l’on gère. ■<br />

FRANÇOISE MULLER et RENAUD MULLER Le bibliothécaire mis à nu ? 61

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