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[Notes de lecture<br />

En écho<br />

Frédéric Kaplan, La Métamorphose<br />

des objets, éd. Fyp, 2009, 224 p., ISBN<br />

978-2-916571-27-0<br />

Après Les Machines apprivoisées<br />

(Vuibert, 2005), l’auteur, spécialiste<br />

de l’intelligence artificielle, ingénieur,<br />

inventeur de nouveaux objets – qui<br />

ont été exposés au MoMa et au<br />

Centre Pompidou – livre ici, dans un<br />

ouvrage écrit simplement et d’un<br />

abord facile, une remarquable et stimulante introduction au<br />

monde qui prend forme sous nos yeux.<br />

La réduction de toute réalité en données numériques<br />

compilables et échangeables à l’échelle mondiale ouvre des<br />

perspectives inédites. C’est en premier lieu la valeur même des<br />

objets qui est affectée. Notre parc domestique d’ustensiles<br />

numériques constitue une sorte de « méga-objet » susceptible<br />

d’être mis en réseau ; ainsi reliés à l’ordinateur planétaire qui<br />

aujourd’hui s’auto-assemble « et promet demain de jouer le rôle<br />

central d’organisateur de nos vies », ils deviennent de simples<br />

interfaces. Jadis fétichisés, aujourd’hui désinvestis 1 , la valeur a<br />

déserté les objets pour s’attacher à leur utilisation. Ce transfert<br />

de « la valeur intime de l’objet d’un support physique historique<br />

à des données numériques archivables » induit une nouvelle<br />

économie reposant sur la circulation des traces relevées de nos<br />

usages intimes. Kaplan montre comment l’ensemble opaque de<br />

ces données brutes constitue un « minerai biographique » dont<br />

l’exploitation produit « une réécriture intelligible » de nos vies.<br />

À travers l’exemple de quelques objets qu’il a conçus à titre<br />

expérimental – le robot interactif QB1, la Docklamp, une<br />

lampe-caméra, la table Reflect qui symbolise les échanges<br />

d’une conversation –, Kaplan met en lumière les possibilités<br />

nouvelles qui s’offrent à nous de prolonger notre façon d’habiter<br />

le monde, mais aussi d’utiliser notre mémoire, de solliciter notre<br />

1. Rappelons à ce sujet les brillantes analyses de Jean Baudrillard dans Le Système des<br />

objets (1968).<br />

imagination, de la conduire dans des zones inexplorées. Un mot<br />

revient sans cesse dans ses analyses, « lucidité ». Pour lui, ces<br />

outils permettent une « réflexion sur soi » et « une nouvelle<br />

lucidité sur le monde ». Remarquable observateur du quotidien<br />

– le sien, celui de ses proches –, c’est toujours des usages réels<br />

que part sa réflexion, ancrée dans l’étoffe la plus concrète de la<br />

vie. Ses descriptions des pratiques de l’écoute musicale, ou de<br />

la lecture par exemple, sont d’une grande justesse 2 . Écouter,<br />

lire, c’est marquer 3 , jalonner, repérer, effectuer un parcours qui<br />

n’appartient qu’à nous. À l’ère de l’abondance qui est la nôtre,<br />

« la question n’est donc plus celle de l’accès, mais celle de nos<br />

cheminements ».<br />

Avec une attitude finalement rare dans ce type d’ouvrages,<br />

Frédéric Kaplan ne sous-estime pas la pente orwellienne sur<br />

laquelle engage cette universelle computation et la menace à<br />

l’horizon d’une société de contrôle. Des pages sur l’universelle<br />

synchronicité à laquelle nous soumettent les technologies du<br />

temps réel sont à cet égard éloquentes. Ainsi met-il en garde<br />

contre le spectre d’une normalisation des comportements<br />

de laquelle doit se démarquer l’idée d’une appropriation<br />

du monde qu’enrichirait la possibilité de « transformer<br />

émotionnellement et esthétiquement nos pratiques les plus<br />

communes ». Il pointe, chaque fois qu’il est nécessaire,<br />

les dérives possibles et surtout les leurres d’un univers où<br />

l’interactivité ne se donnerait pas pour but de nous permettre<br />

d’habiter le monde avec une conscience affinée. L’exercice<br />

concret de la liberté constitue l’horizon de maintes critiques,<br />

comme celle, par exemple, d’une conception superficielle de<br />

la domotique. Sa conclusion sera donc mesurée : après une<br />

période de boulimie caractéristique de l’apparition de libertés<br />

nouvelles, il enjoint à faire le pari d’une « diététique » qui<br />

« conduira à transformer l’exhibitionnisme contemporain en<br />

un art de la mémoire ».<br />

Philippe LEVREAUD<br />

2. Envisagé comme une interface, le livre imprimé n’est pour lui pas menacé de disparaître.<br />

3. Cf. Peter Szendy, Sur écoute : esthétique de l’espionnage, Minuit, 2007.<br />

Daniel et Françoise Rivet, Tu nous as<br />

quittés… Paraître et disparaître dans le<br />

Carnet du Monde, Armand Colin, 2009,<br />

192 p., 14 x 21 cm, ISBN 978-2-200-<br />

35<strong>47</strong>4-9<br />

Depuis que les historiens ont délaissé<br />

la longue vue promenée sur les champs<br />

de bataille pour balayer au microscope<br />

le champ du quotidien, c’est désormais<br />

dans les gestes les plus anecdotiques qu’il nous est donné<br />

de lire les mouvements profonds d’une époque. À scruter<br />

ces pages qu’un regard distrait parcourt ordinairement, les<br />

auteurs n’ont certes pas tiré de révélation propre à modifier<br />

de fond en comble notre perception du siècle, mais l’évolution<br />

des mœurs s’y trouve éclairée comme les pensées secrètes le<br />

sont par un soudain lapsus. La fonction informative du Carnet,<br />

ce « grand livre ouvert des familles », se trouve maintenant<br />

débordée par le registre affectif, voire « féérique », mais<br />

aussi idéologique. En trois temps inégaux, l’étude porte sur<br />

les annonces de fiançailles et de mariage, les faire part de<br />

naissance et, enfin, les avis de décès.<br />

Prenant comme point de référence les pages du Temps des<br />

années 1860-1920, les auteurs mesurent l’écart progressif<br />

122 Bibliothèque(s) - REVUE DE L’ASSOCIATION DES BIBLIOTHÉCAIRES DE FRANCE n° <strong>47</strong>/<strong>48</strong> - décembre 2009

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