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Sciences et Avenir: la face cachée de l'Univers

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Pour tenter de

débusquer la furtive

matière noire,

les physiciens

doivent recourir à

des équipements

de plus en plus

impressionnants. Ici,

l’immense cuve de

l’expérience Xenon,

en Italie, qui tente

de repérer des

Wimps, particules

qui pourraient

la constituer.

ENRICO SACCHETTI/INFN

En ce début des années 1930,

l’astronome américano-suisse

Fritz Zwicky observe dans son

télescope un ballet céleste.

Celui de sept galaxies liées par

la gravité dans la constellation

de la Chevelure de Bérénice.

Zwicky cherche à déterminer leur masse, et

utilise pour cela deux méthodes : logiquement,

elles devraient donner un résultat similaire…

La première repose sur la mesure de la lumière

émise par ces galaxies, la seconde sur la mesure

de leurs vitesses les unes par rapport aux autres.

Problème : les résultats ne concordent pas. La

masse déduite des vitesses est beaucoup plus

élevée – 400 fois plus ! – que celle déduite de la

lumière. Certaines des galaxies sont si rapides

que l’amas devrait se disloquer… sauf si, imagine

Zwicky, une « matière noire » invisible

maintient sa cohésion.

Zwicky a un caractère notoirement effroyable

– il aurait traité ses collègues de « crétins sphériques

», car il les trouvait stupides sous tout

point de vue. Est-ce pour cela que son hypothèse

apparemment extravagante ne trouve

pas crédit auprès de la communauté des astronomes

? Possible. Surtout, les instruments ne

sont pas encore assez précis pour éliminer des

erreurs de mesure. Quarante ans plus tard,

lorsque l’Américaine Vera Rubin observera une

trentaine d’autres galaxies, ses mesures seront

bien moins incertaines. Et elle constatera une

chose surprenante : les étoiles les plus éloignées

du centre de leur galaxie tournent beaucoup

plus vite que prévu, et devraient par conséquent

en être éjectées… ce qui n’est pas le cas. Là

encore, il semble qu’une matière invisible soit

à l’œuvre… Débute alors une traque extraordinaire

qui mobilise tous les instruments de la

planète, les théories les plus originales, sans

résultat tangible jusqu’à présent.

Si la matière noire reste invisible, elle ne peut

pourtant s’empêcher de se trahir, en exerçant

une influence gravitationnelle sur la matière

ordinaire. « On observe ses effets à plusieurs

niveaux : dans les galaxies, les amas de galaxies

et à l’échelle cosmologique, souligne Francesca

Calore, chercheuse au Laboratoire d’Annecy- le-

Vieux de physique théorique (LAPTH). Ce n’est

qu’en combinant ces trois échelles qu’on peut

en avoir une idée. » Dans les galaxies, son effet

est surtout visible à la périphérie, relativement

pauvre en étoiles. Au centre, la force gravitationnelle

exercée par les étoiles et la poussière

domine. « On n’observe pas sa présence à une

échelle plus petite comme celle du Système

solaire, où son action serait négligeable comparée

par exemple à l’attraction entre planètes »,

précise Francesca Calore.

Le décalage des rayons lumineux

trahit la présence d’une masse cachée

On peut la repérer également dans les amas de

galaxies, dont elle conditionne les mouvements,

comme l’avait remarqué Zwicky. Mais elle s’y

révèle aussi à travers un phénomène prédit par la

théorie de la relativité générale d’Albert Einstein :

la lentille gravitationnelle. Tout corps massif,

tel un amas de galaxies, dévie les rayons lumineux

émis par un objet astronomique lointain et

très brillant (galaxie, trou noir supermassif très

lumineux ou quasar…) situé en arrière-plan. Et

ce, d’autant plus que cet objet est massif. Or, la

déviation apparaît beaucoup plus importante

que celle attendue à partir de la seule matière

visible de l’amas. Là encore, ce décalage trahit

la présence d’une masse cachée.

Enfin et surtout, la matière noire apparaît à

l’échelle cosmologique. Car nous possédons

une « carte » du tout jeune Univers : celle que

les observatoires spatiaux ont réalisée du fond

diffus cosmologique (CMB), un rayonnement

émis environ 370 000 ans seulement après le

Big Bang. En 2013, le télescope spatial Planck,

de l’Agence spatiale européenne, en a livré une

version extraordinaire, montrant des fluctuations.

Celles-ci ne peuvent être expliquées qu’en

faisant appel à de la matière noire.

Par ailleurs, au fil du temps, la composition de

l’Univers a pu être calculée et affinée, la

F. CALORE

« ON OBSERVE LES EFFETS DE LA MATIÈRE NOIRE À PLUSIEURS

NIVEAUX : DANS LES GALAXIES, LES AMAS DE GALAXIES ET À L’ÉCHELLE

COSMOLOGIQUE. CE N’EST QU’EN COMBINANT CES TROIS ÉCHELLES

QU’ON PEUT EN AVOIR UNE IDÉE »

Francesca Calore, chercheuse au Laboratoire d’Annecy-le-Vieux de physique théorique

AVRIL/JUIN 2022 SCIENCES ET AVENIR NUMÉRO SPÉCIAL I 31

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