Sciences et Avenir: la face cachée de l'Univers
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On a retrouvé
la matière
manquante !
À la dérobée, de la matière
ordinaire circule sur les
autoroutes intergalactiques qui
sillonnent l’ensemble du cosmos.
Au début des années 2000,
les grands recensements de
galaxies entrepris par les
astronomes révélèrent un problème
inattendu : on ne retrouvait pas,
dans l’Univers contemporain, la
quantité de matière ordinaire –
composée de protons, neutrons et
autres électrons –, qui aurait dû s’y
trouver selon la théorie. Ce que les
astrophysiciens nomment la matière
baryonique (les électrons ne sont pas
des baryons, mais comptent pour du
beurre tant ils sont légers) et qui n’a
aucun rapport – rappelons-le – avec la
matière noire. Où étaient donc passés
ces baryons manquants ?
Dès le début, les soupçons se
tournèrent vers la « toile cosmique »,
ce réseau de nœuds et de filaments
le long desquels s’agglutinent les
galaxies et qui les relie entre elles.
De grandes quantités de matière
ordinaire pourraient y circuler
de manière invisible à nos yeux si
elles étaient assez diluées. En 2017,
plusieurs équipes étudièrent, de façon
indépendante, les fluctuations de
température du fond de rayonnement
cosmologique en se posant une même
question : si certaines
zones apparaissent
légèrement plus froides
que la moyenne, est-ce parce
qu’elles l’étaient effectivement
lorsque cette image de l’Univers jeune
a été émise, 380 000 ans après le Big
Bang ? Ou paraissent-elles refroidies
simplement parce que leur lumière,
avant de nous parvenir, a été diffusée
par les électrons contenus dans des
nuages de plasma situés à l’avantplan
? En superposant la carte de la
toile cosmique près de notre galaxie
à celle du fond cosmologique, les
astronomes constatèrent une certaine
corrélation entre les zones froides du
second et la répartition de matière
de la première. Il semblait bien que
de grandes quantités d’électrons
étaient présentes le long de filaments
reliant les galaxies. Et ils ont beau
compter pour du beurre, s’il y a des
électrons, c’est que des baryons ne
sont pas loin ! Par un jeu d’ombres
chinoises, une partie de la matière
ordinaire manquante venait d’être
découverte…
Une étude publiée l’année dernière
par une équipe principalement
« C’ÉTAIT UN PEU COMME ESTIMER LA POPULATION
MONDIALE DEPUIS LA STATION SPATIALE INTERNATIONALE
EN MESURANT LA LUMINOSITÉ DES VILLES. IL MANQUE
TOUS LES HABITANTS DES CAMPAGNES ! »
Sandrine Codis, astrophysicienne au CNRS
À très grande échelle, l’Univers a l’allure
d’une toile, réseau d’amas de galaxies liés
entre eux par des filaments, également
composés de galaxies. La matière ordinaire
qui y circule, très diluée, est peu visible.
espagnole a étendu la méthode à trois
grands catalogues en 3D couvrant
près de 90 % de l’histoire cosmique.
Elle confirme qu’une grande partie
de la matière baryonique se trouve
sous une forme trop diluée et pas
assez chaude pour être directement
détectable par son rayonnement.
De surcroît, elle démontre qu’une
énorme quantité de matière se
trouve dispersée dans les immenses
espaces qui séparent les galaxies et
les amas de galaxies. « Le problème
ne nous inquiète plus… C’était un
peu comme estimer la population
mondiale depuis la Station spatiale
internationale en mesurant la
luminosité des villes, s’amuse
Sandrine Codis, astrophysicienne
au CNRS. Il va vous manquer tous
les habitants des campagnes ! » Les
baryons manquants ne le sont donc
plus, et ils confirment que les galaxies
échangent à très grande échelle de la
matière à travers la toile cosmique où
elles sont enchâssées. RENÉ CUILLIERIER
«ILLUSTRIS COLLABORATION» / «ILLUSTRIS SIMULATION»
AVRIL/JUIN 2022 SCIENCES ET AVENIR NUMÉRO SPÉCIAL I 35