Sciences et Avenir: la face cachée de l'Univers
- No tags were found...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
INFINIMENT NOIR
Les formes du trou
Pour un observateur extérieur, le trou noir est délimité par
son horizon des événements : au-delà de cette limite,
aucun objet, ne serait-ce qu’un photon, ne peut en ressortir.
Cet horizon présente une forme quasiment sphérique – plus le
trou noir tourne vite, plus cette sphère s’aplatit. Son rayon est
proportionnel à la masse de l’objet central. Pour un trou noir
d’une masse solaire, il mesure 3 kilomètres. Pour Gargantua,
de 225 millions de masses solaires, il serait de 775 millions de
kilomètres. À l’échelle du Système solaire, il engloberait tout
jusqu’à Jupiter ! Par ailleurs, à l’intérieur du trou noir, l’espace
est complètement perturbé. En effet, la courbure de l’espacetemps
y est extrême : la notion de distance au centre n’est
plus pertinente. « C’est comme une bouteille vue du dessus,
prévient Carlo Rovelli, professeur à l’université Aix-Marseille.
L’observateur extérieur ne voit que le bouchon alors que le
volume intérieur est bien plus grand. » Cette notion de volume
est à manier avec prudence, car elle ne s’entend que pour des
objets statiques l’un par rapport à l’autre. Or, dans un trou noir,
tout tombe vers le centre… Tout est donc en mouvement.
R. T. CAVALCANTI, SAGEMANIFOLDS PROJECT
Horizon des événements
Horizon de Cauchy
Centre du trou noir
Un trou noir est délimité
par son horizon des
événements (en bleu),
en deçà duquel aucune
particule ne peut ressortir.
Ses autres couches
dépendent de sa vitesse
de rotation. Pour un trou
noir statique (en haut),
le centre est un point de
densité infi nie (en rouge).
Pour un trou noir tournant
à la moitié de la vitesse
de la lumière (au milieu)
ou à 90% de la vitesse
de la lumière (en bas),
le point se transforme
en anneau et on note
un autre horizon, celui
de Cauchy, sur lequel
les particules butent du
fait des énormes forces
centrifuges.
pour le premier et 1965 pour le second,
envisagèrent le cas d’un trou noir en rotation et
de charge électrique non nulle, proposition qui
présente cependant elle aussi un défaut : elle suppose
que le trou noir n’a pas été créé et ne reçoit
pas de matière. Bref, qu’il est éternel.
Dans ce modèle, la singularité n’est plus un
point mais un anneau – une théorie qui suscitera
les idées les plus farfelues, comme les
« trous de ver », tunnels reliant deux points
de l’espace-temps, ou le passage d’un univers
à un autre. Aborder cet anneau est très difficile,
car plus on s’approche du centre, plus la
vitesse de rotation est grande. Et avec elle, les
forces centrifuges qui tendent à repousser la
particule qui s’approche. Il arrive alors une
zone, l’horizon de Cauchy, où les forces centrifuges
l’emportent. Tout ce qui s’approche est
rejeté vers l’extérieur. C’est un mur de rayonnement
infranchissable. Dans le cas de notre
astronaute interstellaire, « Cooper devrait alors
recevoir une quantité de rayonnement infini
en un temps infiniment bref », assure Alain
Riazuelo.
Cependant, aucun de ces modèles ne permet
aux physiciens de se débarrasser de la singularité.
Ce qui leur pose problème, car ils ne savent
pas jongler avec des caractéristiques infinies. De
plus, ils reconnaissent que leur description du
centre du trou noir est fausse, car elle ne se base
E. GOURGOULHON
« RIEN NE
RÉSISTE À
L’ATTRACTION
IMMENSE DU
CENTRE. TOUT
TOMBE TRÈS
VITE VERS
LUI. L’ESPACE
ENTRE
L’HORIZON ET
LE CENTRE EST
DONC VIDE »
Éric Gourgoulhon,
directeur de recherche
à l’Observatoire de Paris
que sur la théorie de la relativité générale, qui ne
peut s’appliquer à ces densités extrêmes. Règne
alors en maîtresse la physique des particules,
décrite par la mécanique quantique, une théorie
probabiliste. Selon les calculs d’Alain Riazuelo,
pour un trou noir d’une masse solaire, ces effets
quantiques interviennent 10 -24 seconde avant
d’atteindre la singularité.
Pour réconcilier ces deux sœurs ennemies de
la physique, certains astrophysiciens tentent
depuis les années 1960 d’élaborer la théorie des
cordes, dans laquelle les particules ne sont plus
ponctuelles mais ressemblent à des cordes, à
une dimension. D’autres, comme Carlo Rovelli
(lire l’interview ci-contre) ou Aurélien Barrau,
construisent une théorie de la gravitation
quantique à boucles, dans laquelle l’espace-temps
est granulaire. La taille du plus
petit élément est alors l’échelle de Planck, soit
10 -35 mètre, longueur à laquelle la théorie de la
gravitation cesse de s’appliquer. L’espace-temps
n’étant plus continu comme dans la relativité
générale, il n’est plus question de singularité
de densité infinie. Reste cependant à
construire une théorie prédictive et à la vérifier
par de multiples tests. Cooper parviendrait-il
alors à voyager dans le temps, comme le pense
Christopher Nolan ? Peut-être ! Il rejoindrait
alors Buzz l’Éclair « vers l’infini… et au-delà ».
JACQUES-OLIVIER BARUCH
42 I NUMÉRO SPÉCIAL SCIENCES ET AVENIR AVRIL/JUIN 2022