Sciences et Avenir: la face cachée de l'Univers
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interview
CARLO ROVELLI
Professeur au Centre de physique théorique de l’université Aix-Marseille,
directeur du Groupe d’étude de la gravitation quantique
« La matière noire pourrait être
la manifestation de trous blancs »
Selon la gravitation quantique à boucles, qui aspire à réconcilier
relativité générale et mécanique quantique, ces objets issus de trous noirs
évaporés pourraient régurgiter matière et lumière.
Vous êtes un des pères
fondateurs de la gravitation
quantique à boucles…
Pourquoi avoir élaboré une
nouvelle théorie ?
La relativité générale
d’Einstein décrit
parfaitement le monde
macroscopique et la
mécanique quantique,
le monde subatomique.
Or ces deux théories
sont apparemment
incompatibles. Il nous faut
trouver un moyen de les
réconcilier. Nous savons
que, dans les calculs,
des infinis apparaissent
lorsque nous négligeons
la mécanique quantique. Par exemple, selon les
modélisations, un électron tournant autour d’un
noyau atomique devrait tomber avec une énergie
infinie. Et pourtant, dans la réalité, il ne le fait
pas. En cosmologie, nous rencontrons également
un problème avec des infinis, par exemple pour
expliquer la naissance de l’Univers, mais aussi à
l’intérieur des trous noirs.
Quel est le problème des trous noirs ?
Il y a deux circonstances dans lesquelles la relativité
générale ne peut s’appliquer. La première est le
centre du trou noir, où les effets quantiques sont
importants. L’autre est son avenir. Depuis les
travaux du physicien britannique Stephen Hawking,
nous savons qu’un trou noir a une certaine
température et donc qu’il perd de l’énergie par
cette radiation, dite de Hawking. Ainsi, il s’évapore.
Arrive un moment où il est si petit que la théorie
de la relativité générale ne peut plus s’appliquer.
Il faut pour le décrire une théorie de gravitation
JEAN-LUC BERTINI/PASCO & CO
quantique… que nous
tentons justement d’élaborer
ces dernières années.
En quoi est-elle pertinente
pour décrire l’intérieur d’un
trou noir ?
Les équations d’Einstein
disent que le centre du trou
noir est une singularité
de densité infinie. Or, avec
la gravitation quantique
à boucles qui stipule
que l’espace-temps est
granulaire, c’est-à-dire
constitué de petits éléments
insécables, il n’y a plus de
singularité. Le trou noir va
rebondir et se transformer
en son inverse temporel. Selon le résultat de
nombreux calculs, il devient alors l’opposé d’un trou
noir, un trou blanc, d’où la matière peut ressortir.
Pas n’importe où ! Contrairement aux idées
véhiculées par certains auteurs de science-fiction,
ce trou blanc est situé au même endroit que le trou
noir. Il ne nous entraîne pas dans un autre univers.
Y a-t-il un moyen de vérifier cette théorie ?
L’évaporation d’un trou noir est très longue et
dépend de sa masse. Cela se compte en 10 64 années
pour un trou noir d’une masse solaire. Pour des
trous noirs supermassifs, la durée d’évaporation
est encore beaucoup plus longue. Mais des trous
noirs microscopiques se sont probablement
formés au début de l’Univers. Ils se sont assez
évaporés pour évoluer en trous blancs et devenir
lumineux. Et nous avons peut-être déjà observé une
manifestation de ces trous blancs : la matière noire,
que tous les physiciens recherchent encore en vain.
PROPOS RECUEILLIS PAR J.-O. B.
AVRIL/JUIN 2022 SCIENCES ET AVENIR NUMÉRO SPÉCIAL I 43