Sciences et Avenir: la face cachée de l'Univers
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NATHALIE PALANQUE-DELABROUILLE
l’origine. Ils ont été découverts en 1970 par
des satellites américains chargés de surveiller la
non-prolifération nucléaire. Et que dire de l’expérience
de Michelson-Morley ? En 1887, alors que ces
deux physiciens cherchent en vain à mettre en évidence
« l’éther », censé être le support de la propagation
de la lumière, ils parviennent à l’étrange conclusion
que la vitesse de la lumière est constante… ce
qui, quelques années plus tard, donnera naissance
aux rudiments de la relativité restreinte.
C’est presque un plaidoyer pour la recherche
fondamentale…
Oui, j’y crois très fortement. Construire des instruments,
les caractériser au plus près et ne pas nécessairement
s’intéresser à leur application immédiate
mais être prêt à pousser les études dans un sens différent
de l’application initiale.
À propos d’instruments, quels sont ceux dont les
missions s’annoncent les plus prometteuses ?
J’en mentionnerai trois, dont le but est justement
de comprendre la face cachée de l’Univers : l’observatoire
Vera-C.-Rubin (appelé auparavant LSST),
un télescope optique américain installé au Chili,
qui le compose, la quantité de matière et d’énergie
à différentes époques.
Une approche différente de celle du Vera-Rubin ?
Le Vera-Rubin, lui, apportera l’observation de supernovae
à différentes époques – approche qui a conduit
à la découverte de l’accélération de l’expansion. On
passera toutefois de quelques centaines à des centaines
de milliers, ce qui permettra de les classifier
selon l’environnement dans lequel elles ont évolué.
L’objectif est d’obtenir une interprétation plus fine
de la quantité d’énergie noire à différentes époques :
a-t-elle toujours existé ? Sa contribution est-elle
constante dans le temps ? Est-ce une constante cosmologique,
comme cela semble être l’explication
la plus simple aujourd’hui, ou faut-il invoquer des
modèles plus complexes ? Euclid, lui, se concentrera
notamment sur la distribution de la masse de l’Univers
pour étudier la matière noire.
Vous disiez que l’énergie noire n’a pas toujours
existé ?
Pardon, c’est mal exprimé ! C’est moi qui l’ai dit, je
l’avoue (rire). L’énergie noire a toujours été présente,
mais la grosse différence entre énergie noire et toute
Toute notre cosmologie repose sur l’inflation, qui a eu
lieu dans la première fraction de seconde après le Big
Bang. Or, nous n’en avons toujours aucune preuve tangible
qui devrait entrer en service cette année ; le satellite
européen Euclid, qui sera lancé en avril 2023 et qui
observera à la fois en lumière visible et en infrarouge ;
et Desi (Dark Energy Spectroscopic Instrument), un
télescope au sol spécifiquement voué à la traque de
l’énergie noire. Il est fondamental d’avoir plusieurs
instruments qui s’intéressent à cette problématique
de manière différente, peuvent valider leurs observations
respectives et compléter les approches en vue
d’une interprétation générale.
Ces grands instruments ont pour but de cartographier
en trois dimensions la matière noire et l’énergie
noire à travers les âges de l’Univers, afin de déterminer
leur nature et leurs propriétés. La troisième
dimension, la profondeur, ne peut s’obtenir finement
que par spectroscopie : c’est la mission de Desi, qui
va mesurer le spectre d’une sélection d’objets afin
d’avoir l’information du décalage vers le rouge, c’està-dire
la vitesse de leur déplacement, ce qui peut,
moyennant un modèle cosmologique, s’apparenter
à une distance. Cette cartographie en 3D va nous
permettre de mesurer la distance privilégiée entre
les galaxies à différentes époques, ce qui revient à
étudier comment l’Univers s’est agrandi à travers
le temps et donc, son expansion étant régie par ce
forme de matière, c’est que l’énergie noire serait un
fluide à densité indépendante du temps. Tandis que
la densité de la matière, elle, décroît avec l’expansion.
Si l’on met trois billes dans un verre, elles seront
plus proches que si on les met dans le volume d’une
pièce… L’énergie noire domine aujourd’hui, mais si
l’on regarde un Univers extrêmement jeune, on n’en
voit pas, parce que la matière est alors en densité
considérablement plus importante.
Revenons à Desi… vous y êtes très impliquée ?
Oui, j’encadre l’ensemble des activités scientifiques
au sein de ce projet dont je suis porte-parole. C’est
un télescope de quatre mètres de diamètre situé
en Arizona, qui comporte 5 000 petits robots dans
le plan focal pouvant positionner, en temps réel,
des fibres optiques à la position exacte des galaxies
dont on veut mesurer le spectre. Toutes les vingt
minutes, on sélectionne un jeu de 5 000 galaxies.
On a commencé à récolter des données en mai 2021,
et le bilan est déjà spectaculaire : on a pu mesurer la
distance, la troisième dimension, de plus de 10 millions
de galaxies. C’est la première fois qu’on a une
cartographie des données continue et systématique
sur 12 milliards d’années, ce qui couvre l’essentiel
8 I NUMÉRO SPÉCIAL SCIENCES ET AVENIR AVRIL/JUIN 2022