Sciences et Avenir: la face cachée de l'Univers
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INFINIMENT NOIR
proportion de matière noire déterminée :
elle est estimée aujourd’hui à 26,8 %, contre
68,3 % d’énergie sombre (lire p. 36)… et à peine
4,9 % de matière ordinaire, celle dont les étoiles
et nous-mêmes sommes faits.
Mais quelles sont les principales propriétés de
l’inconnue ? « Elle est électriquement neutre,
stable, et interagit très peu avec les autres particules
du modèle standard [qui décrit les constituants
élémentaires de la matière et précise
leurs interactions, ndlr] », explique Francesca
Calore. Notamment avec les particules qui
constituent notre matière ordinaire… C’est
précisément ce qui rend sa traque difficile.
D’autant que si l’on peut en observer les effets,
sa nature demeure mystérieuse.
Si elle n’est pas découverte dans les
dix ans, c’est… qu’elle n’existe pas
Une chose est sûre : « Pour identifier ce qu’elle
est, il faut se débarrasser du bruit cosmologique
», souligne l’astrophysicienne. Autrement
dit, des signaux parasites issus de multiples
sources, dont certaines encore mal connues. En
tenant compte de ces indésirables, Francesca
Calore a conçu un modèle prédisant les caractéristiques
de la matière noire grâce aux données
du télescope spatial Fermi, qui observe
le ciel vers le centre de notre galaxie. Dans
cette région riche en énergie, des particules de
matière noire pourraient entrer en collision
et s’annihiler en produisant un rayonnement
gamma détectable. Or, en 2010, les observations
ont révélé un excès de rayonnement par rapport
aux prévisions… « Ce pouvait être la matière
noire, poursuit la chercheuse. Mais nous avons
creusé une autre hypothèse qui s’est révélée
plus concluante : celle d’objets comme des pulsars
[étoiles à neutrons tournant rapidement
sur elles-mêmes, ndlr]. »
Faute de parvenir à dire ce qu’est la matière
noire, les astrophysiciens déterminent ce qu’elle
n’est pas, en testant quantité d’hypothèses et en
définissant toujours plus précisément quelles
peuvent être sa masse et son énergie. Soit l’étau
s’est suffisamment resserré, et la découverte
se fera dans les dix prochaines années ; soit la
matière noire… n’existe tout simplement pas,
comme l’envisagent certains modèles. Ainsi,
MOND, une théorie iconoclaste, s’en passe fort
bien, à condition de… modifier les lois de la gravité,
rien de moins !
JEAN-FRANÇOIS HAÏT
L. ROSENBERG
La masse de
l’hypothétique axion
serait des milliards
de fois moindre que
celle de l’électron.
Axions : les challengers mystérieux
Dans les années 1980, les physiciens
théoriciens sont confrontés à un
problème concernant l’interaction
forte, qui maintient la cohésion
des noyaux atomiques. Pour le
résoudre, ils postulent l’existence
d’une particule, baptisée axion.
Au début des années 1980, Pierre
Sikivie, chercheur à l’université
de Floride, comprend que celui-ci
pourrait être un bon candidat
pour constituer la matière noire. Et
imagine comment il serait possible
de le détecter : en traversant un fort
champ magnétique, il produirait
un photon dans le domaine des
ondes radio ou des microondes, qui
pourrait être repéré. À condition de
disposer de détecteurs ultrasensibles,
dans un environnement refroidi
au maximum… C’est le cas pour
l’expérience ADMX (Axion Dark
Matter Experiment) de l’université
de Washington (États-Unis). « Nous
avons réalisé les premiers prototypes
dans les années 1980-1990, mais
nous n’avons atteint la sensibilité
requise qu’en 2017, souligne
Leslie Rosenberg, responsable
scientifique d’ADMX. Elle est de
l’ordre du yoctowatt [le millionième
de milliardième de milliardième de
watt]. J’ai téléphoné au Système
international des unités à Paris, et
on m’a confirmé qu’il n’y avait rien
pour désigner quelque chose de plus
petit que le préfixe yocto ! » Depuis,
ADMX teste toutes les hypothèses
sur la masse de l’axion. « Nous
avons commencé à chercher les
signaux attendus pour une masse
de 2 microélectronvolts, et nous
augmentons régulièrement cette
masse, donc la fréquence du signal
que nous devrions détecter. Le
problème, c’est que l’électronique
à mettre en œuvre devient de plus
en plus complexe », souligne Leslie
Rosenberg. Toujours rien en vue en
quatre ans de traque…
« LE SYSTÈME INTERNATIONAL
DES UNITÉS À PARIS M’A CONFIRMÉ
QU’IL N’Y AVAIT RIEN QUI DÉSIGNE
QUELQUE CHOSE DE PLUS PETIT
QUE LE PRÉFIXE YOCTO ! »
Leslie Rosenberg, responsable scientifique d’ADMX
RAMON ANDRADE/SPL/SUCRÉ SALÉ
32 I NUMÉRO SPÉCIAL SCIENCES ET AVENIR AVRIL/JUIN 2022