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Les chevaliers de la table ronde

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<strong>de</strong>us agens avait décidé <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>us otiosus et <strong>de</strong> se retirer, le septième jour, pour voir<br />

comment ses « émanations » al<strong>la</strong>ient pouvoir continuer l’œuvre entreprise.<br />

En fait, ce thème du « dieu agissant » qui déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir « dieu oisif » domine<br />

<strong>la</strong>rgement <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> époque <strong>de</strong> l’épopée arthurienne. Arthur, jeune homme apparemment<br />

issu d’une famille mo<strong>de</strong>ste, honnête mais sans gloire, a été choisi par les puissances<br />

surnaturelles (est-ce par le Dieu <strong>de</strong>s chrétiens ou par les étranges divinités celtiques<br />

invoquées par Merlin ?) : il est parvenu à retirer l’épée <strong>de</strong> souveraineté du perron dans lequel<br />

elle était fichée. Il est l’élu, celui qui a été choisi par une intelligence qui dépasse celle <strong>de</strong>s<br />

hommes. Et là rési<strong>de</strong> le problème : car, au XIII e siècle, époque à <strong>la</strong>quelle s’organise le cycle<br />

légendaire arthurien, et à <strong>la</strong>quelle s’appliquent les règles sophistiquées <strong>de</strong> <strong>la</strong> monarchie <strong>de</strong><br />

droit divin, le principe énoncé par saint Thomas d’Aquin fait force <strong>de</strong> loi : a Deo per populum,<br />

« Issu <strong>de</strong> Dieu à travers le peuple ». Il ne suffit pas d’être reconnu par Dieu pour être roi, il<br />

faut également l’être par le peuple, et Arthur, même s’il brandit l’épée f<strong>la</strong>mboyante Excalibur,<br />

qui lui est incontes<strong>table</strong>ment confiée, ne peut exercer sa fonction royale que s’il est accepté<br />

par le peuple, autrement dit par les princes <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> dont il n’est en <strong>de</strong>rnière analyse<br />

que le primus inter pares, le princeps, <strong>la</strong> « tête », le « premier entre ses égaux ». Et tel n’est<br />

pas le cas au début <strong>de</strong> cette aventure chargée <strong>de</strong> significations diverses où se mêlent les<br />

données sociologiques, les impératifs politiques, les spécu<strong>la</strong>tions métaphysiques et les<br />

croyances religieuses. Arthur, même élu <strong>de</strong> Dieu, n’est rien sans ses pairs, car il n’est ni un<br />

<strong>de</strong>spote à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> orientale ni un dictateur à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> romaine, il est un roi, un homme qui,<br />

au sens étymologique du terme indo-européen dont le mot roi est issu, doit rayonner autant<br />

qu’il le peut sur le royaume et sur ceux qui le constituent.<br />

C’est dire le rôle essentiel du roi dans cette organisation sociale que tentent <strong>de</strong> mettre au<br />

point les concepteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> légen<strong>de</strong>. L’origine celtique d’Arthur ne fait plus aucun doute [1] : il<br />

porte sur lui, quel que soit son <strong>de</strong>gré d’intégration à l’image <strong>de</strong> <strong>la</strong> royauté chrétienne<br />

médiévale, <strong>de</strong>s caractéristiques qui sont à rechercher dans les structures spécifiques <strong>de</strong>s<br />

sociétés celtiques anciennes. Il est le pivot du royaume, lequel s’organise autour <strong>de</strong> lui. Mais<br />

lui-même est statique : une fois qu’il a prouvé sa valeur, sa conformité avec l’idéal, une fois<br />

qu’il est apparu dans tout son « éc<strong>la</strong>t », il peut se dispenser d’agir lui-même, confiant <strong>la</strong> mise<br />

en œuvre <strong>de</strong> l’action à ceux qu’il juge capables <strong>de</strong> <strong>la</strong> mener à bien. Et dans ce rôle <strong>de</strong> pivot, il<br />

est aidé par le drui<strong>de</strong>, son alter ego d’ordre spirituel pour ne pas dire magique : le drui<strong>de</strong> et<br />

le roi forment le sommet <strong>de</strong> <strong>la</strong> pyrami<strong>de</strong> sociale <strong>de</strong>s anciens Celtes, reconstituant ainsi le duo<br />

mythologique indo-européen Mitra-Varuna, le premier étant le dieu <strong>de</strong>s contrats juridiques et<br />

<strong>de</strong> l’équilibre statique, le second le dieu qui dérange systématiquement l’ordre établi dans le<br />

but d’assurer l’évolution constante <strong>de</strong> <strong>la</strong> société. Le roi et le drui<strong>de</strong> sont le Lieur et le Délieur,<br />

et rien ne peut se faire sans eux. Or, dans <strong>la</strong> légen<strong>de</strong> arthurienne, ils sont présents<br />

d’une façon incontes<strong>table</strong> : ce sont Arthur et Merlin.<br />

Et c’est à eux qu’incombe <strong>la</strong> lour<strong>de</strong> charge <strong>de</strong> refaire le mon<strong>de</strong>, soit d’organiser, dans un<br />

cadre contemporain, donc chrétien (il ne peut en être autrement dans l’Europe occi<strong>de</strong>ntale<br />

<strong>de</strong>s XI e – XV e siècles), une société idéale <strong>de</strong> type horizontal, caractéristique du système<br />

celtique, bâtie sur <strong>de</strong>s rapports interindividuels qui ne sont jamais en opposition avec les<br />

rapports entre les individus et <strong>la</strong> collectivité. Le roi n’est jamais un tyran aveuglé par une soif<br />

<strong>de</strong> puissance : il n’est que <strong>la</strong> cristallisation <strong>de</strong>s pulsions <strong>de</strong> ceux qui gravitent autour <strong>de</strong> lui,

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