Les chevaliers de la table ronde
Les chevaliers de la table ronde
Les chevaliers de la table ronde
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
l’homme lui par<strong>la</strong>it ainsi : « Roi, pourquoi te proposes-tu <strong>de</strong> commettre un si grand crime, toi<br />
qui as décidé <strong>de</strong> mettre à mort <strong>de</strong>s êtres saints et innocents que n’a pas encore souillés <strong>la</strong><br />
corruption du mon<strong>de</strong> ? Sans aucun doute, le Créateur du Ciel et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Terre aurait mieux fait<br />
<strong>de</strong> ne pas t’accor<strong>de</strong>r <strong>la</strong> grâce dont il t’a comblé, toi qu’il a chargé d’être le gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce<br />
peuple ! Car tu es <strong>de</strong>venu un criminel et un impie ! Que t’ont donc fait ces créatures que tu<br />
veux mettre à mort ? Sache toutefois que si tu persistes dans ton projet, le Tout-Puissant, qui<br />
t’a accordé le pouvoir dont tu es le dépositaire, tirera <strong>de</strong> toi une vengeance si éc<strong>la</strong>tante que<br />
toutes les générations futures en parleront pendant <strong>de</strong>s siècles ! »<br />
Le roi se sentait bien mal en entendant ce discours. Il se voyait regar<strong>de</strong>r l’homme<br />
gigantesque, se <strong>de</strong>mandant ce qui al<strong>la</strong>it lui arriver. Mais l’homme continua ainsi : « Je vais te<br />
dire ce qu’il faut faire pour éviter <strong>de</strong> perdre ton âme dans une action infâme. Tu feras mettre<br />
les enfants dans un navire. Ce navire sera sans pilote, mais il aura <strong>de</strong>s voiles. Ensuite, tu<br />
feras prendre le <strong>la</strong>rge au navire, et le vent l’emmènera où il voudra. Si les enfants<br />
parviennent à échapper aux périls qui les menacent, ce sera <strong>la</strong> preuve que Notre Seigneur les<br />
aime et qu’Il s’oppose à ce qu’ils soient mis à mort. Et cette preuve doit te suffire, à moins<br />
que tu ne sois le plus grand criminel du mon<strong>de</strong> ! » Le roi s’entendit répondre : « Assurément,<br />
j’agirai ainsi, car c’est une excellente manière <strong>de</strong> me venger. – Qui te parle <strong>de</strong> vengeance ?<br />
s’écria l’homme gigantesque. De quoi veux-tu te venger ? C’est pour expier ta faute que tu<br />
veux <strong>la</strong> <strong>la</strong>ver dans le sang <strong>de</strong>s innocents ? Ces enfants ne t’ont rien fait <strong>de</strong> mal, ni à toi ni à<br />
autrui ! C’est seulement le moyen <strong>de</strong> te <strong>la</strong>isser faire ce que tu veux, autrement dit d’écarter<br />
<strong>de</strong>s enfants parmi lesquels tu crois que se trouve celui qui s’opposera à toi dans les <strong>de</strong>rniers<br />
jours <strong>de</strong> ton règne. Tu penses ainsi empêcher <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> ton royaume ? Mais c’est<br />
impossible, et cette <strong>de</strong>struction se produira comme te l’a affirmé le fils du diable ! »<br />
Arthur se réveil<strong>la</strong> alors en sursaut, couvert <strong>de</strong> sueur, persuadé d’avoir <strong>de</strong>vant lui l’homme<br />
gigantesque qui lui avait parlé. Il comprit qu’il venait <strong>de</strong> rêver ; mais les images et les<br />
paroles qu’il avait vues et entendues provoquaient une gran<strong>de</strong> angoisse dans son esprit. Il se<br />
signa et se recommanda à Dieu. Puis, le matin, il fit équiper un grand navire sans expliquer<br />
ce qu’il comptait en faire. Et, à <strong>la</strong> tombée <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, il donna l’ordre <strong>de</strong> prendre tous les<br />
enfants qui étaient enfermés dans ses tours – ils étaient sept cent douze – et <strong>de</strong> les p<strong>la</strong>cer<br />
dans le navire. Enfin, il fit hisser les voiles, et aussitôt le vent emporta le navire en haute<br />
mer.<br />
Or, après avoir erré toute <strong>la</strong> nuit, le navire se trouva, le len<strong>de</strong>main matin, en face d’une<br />
forteresse qui appartenait à un roi qui était resté longtemps païen, mais qui, <strong>de</strong>venu<br />
chrétien, manifestait un grand amour pour Notre Seigneur. Sa femme venait <strong>de</strong> lui donner un<br />
fils qu’il avait appelé Acanor, mais qui, par <strong>la</strong> suite, quand il <strong>de</strong>vint compagnon <strong>de</strong> <strong>la</strong> Table<br />
Ron<strong>de</strong>, reçut le nom <strong>de</strong> Laid Hardi à cause <strong>de</strong> sa <strong>la</strong>i<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong> son teint basané et <strong>de</strong> son<br />
courage à toute épreuve. Et le matin où le navire qui portait les enfants parut <strong>de</strong>vant sa<br />
forteresse, le roi, qu’on nommait Oriant, venait <strong>de</strong> sortir pour se promener sur le port en<br />
compagnie <strong>de</strong> quelques-uns <strong>de</strong> ses serviteurs. Quand il vit le navire, il dit à ceux qui<br />
l’entouraient : « Allons voir ce qu’il y a dans ce navire qui semble venir <strong>de</strong> très loin. »<br />
Tous se hâtèrent en direction du navire qui venait <strong>de</strong> s’échouer dans le port. Ils montèrent<br />
à bord et se signèrent quand ils découvrirent qu’il n’y avait que <strong>de</strong>s enfants. « Qu’est-ce que<br />
ce<strong>la</strong> peut bien signifier ? disait le roi Oriant. Qui donc a bien pu en réunir un si grand nombre<br />
et les envoyer ainsi sur ce navire sans pilote ? » Alors l’un <strong>de</strong> ses familiers prit <strong>la</strong> parole et