Les chevaliers de la table ronde
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La Conquête du Royaume<br />
L’hiver suscitait <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s tempêtes et <strong>de</strong>s bourrasques <strong>de</strong> vent, <strong>de</strong> <strong>la</strong> neige sur le<br />
sommet <strong>de</strong>s montagnes et <strong>de</strong>s brouil<strong>la</strong>rds dans les vallées parmi lesquelles s’égaraient les<br />
voyageurs. Mais ceux-ci, lorsqu’ils parvenaient dans les vil<strong>la</strong>ges et qu’ils al<strong>la</strong>ient se réchauffer<br />
auprès d’un bon feu <strong>de</strong> bûches dans les chaumières où ils étaient accueillis, racontaient à qui<br />
vou<strong>la</strong>it les entendre une stupéfiante nouvelle : le royaume avait enfin un roi. À vrai dire, le<br />
petit peuple ne se sentait guère concerné par cette nouvelle qui ne modifierait en rien sa<br />
façon <strong>de</strong> vivre. Le roi était bien loin et, <strong>de</strong>puis longtemps, on avait cessé <strong>de</strong> croire qu’il<br />
pouvait améliorer le sort <strong>de</strong>s plus humbles. Mais, cependant, on souhaitait ar<strong>de</strong>mment que<br />
ce nouveau roi fût juste et bon et qu’il rétablît <strong>la</strong> paix en cette île <strong>de</strong> Bretagne : on n’avait<br />
que trop subi les vil<strong>la</strong>ges incendiés par <strong>de</strong>s soudards surgis <strong>de</strong> n’importe où, les récoltes<br />
saccagées, le bétail dérobé, les femmes violées, les jeunes gens pendus aux arbres. Ce<strong>la</strong><br />
avait assez duré : les cloches <strong>de</strong>s églises <strong>de</strong>vaient maintenant sonner pour les fêtes et non<br />
plus pour les <strong>de</strong>uils. Assez d’angoisses et <strong>de</strong> tristesses, assez <strong>de</strong> massacres et <strong>de</strong><br />
souffrances ! Et seul un roi juste et bon, quel qu’il fût, pouvait redonner l’espoir à ce petit<br />
peuple frileusement replié à l’ombre <strong>de</strong>s forêts, à l’écart <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s routes <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>.<br />
On racontait d’ailleurs <strong>de</strong>s choses merveilleuses à propos <strong>de</strong> ce roi dont on savait<br />
seulement qu’il se nommait Arthur : il avait été le seul à pouvoir saisir une épée magique<br />
fichée dans un perron, signe évi<strong>de</strong>nt que Dieu l’avait choisi pour gouverner le royaume,<br />
même si ce n’était qu’un obscur fils <strong>de</strong> vavasseur qui n’était même pas encore chevalier. Mais<br />
l’on se souvenait que le Christ était né dans une é<strong>table</strong>, dans le froid et le dénuement, et que<br />
les puissants Rois mages n’avaient pas hésité à venir <strong>de</strong> très loin pour s’incliner <strong>de</strong>vant lui et<br />
lui offrir <strong>de</strong>s présents. Peu importait donc que ce roi, que Dieu avait distingué parmi <strong>de</strong><br />
grands guerriers et <strong>de</strong> nobles barons, fût le plus humble et le plus obscur <strong>de</strong> tous s’il avait le<br />
pouvoir <strong>de</strong> rétablir l’harmonie entre ses sujets. Alors, dans toutes les églises, dans toutes les<br />
chapelles du royaume, une prière fervente s’élevait, toujours <strong>la</strong> même : De profundis,<br />
Domine… Car il fal<strong>la</strong>it enfin surgir <strong>de</strong>s temps obscurs. À travers l’île <strong>de</strong> Bretagne, l’espoir<br />
renaissait et l’on sentait les bourgeons vibrer sous <strong>la</strong> neige.<br />
Il n’en était pourtant pas ainsi dans les forteresses qui parsemaient le pays <strong>de</strong> leurs<br />
éperons provocants, là où résidaient les grands <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>, ou du moins ceux qui se<br />
prétendaient tels. D’abord abasourdis par le prodige dont ils avaient été les témoins, lorsque<br />
le jeune Arthur avait retiré l’épée Excalibur du perron, ils s’étaient inclinés <strong>de</strong>vant ce qui<br />
paraissait le choix <strong>de</strong> Dieu. Mais, à présent, ils se mettaient à réfléchir et à douter. N’était-ce<br />
pas plutôt le diable qui, pour mieux les engluer dans ses pièges, avait ainsi fait désigner le<br />
plus faible d’entre tous les hommes du royaume ? Après tout, Merlin n’était-il pas le fils d’un<br />
diable ? Qui pouvait prétendre connaître les intentions réelles <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>vin qui riait sans cesse<br />
lorsqu’on lui posait une question et qui se révé<strong>la</strong>it le grand maître <strong>de</strong>s illusions ? Et, chez <strong>la</strong><br />
plupart <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> guerre, <strong>de</strong> murmures en murmures, <strong>de</strong> pa<strong>la</strong>bres en pa<strong>la</strong>bres, <strong>la</strong> révolte<br />
grondait : al<strong>la</strong>it-on accepter sans réagir une telle humiliation ? De plus, on savait maintenant<br />
que cet Arthur n’était pas le fils d’Antor, lequel n’était que son père nourricier : ce n’était