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Catalogue festival Guédiguian 2012 - Ciné Meaux Club

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tie sur la manière dont le cinéma « couronne » le<br />

théâtre et l’eff et de masse, les dépouille de leur<br />

maladresse et les mène à une conclusion logique.<br />

Désormais, pensons-nous en regardant ces<br />

fi lms, rien n’est trop grand ni trop complexe pour<br />

trouver une représentation adéquate à l’écran...<br />

L’ampleur ; mais il y a aussi la « forme » — la<br />

cohérence artistique. Nous avons tous vu des<br />

épopées — Intolérance appartient peut-être à<br />

ce groupe — où le souci de grandeur prime le<br />

rythme, la proportion, l’élégance. A cet égard,<br />

Le Cuirassé Potemkine est saisissant ; on remarque<br />

d’abord la rigueur de sa construction<br />

en cinq épisodes, comme dans une tragédie<br />

classique. Il y a quelque chose de grandiose et<br />

d’inévitable dans le développement de l’histoire<br />

; les épisodes semblent anciens et légendaires<br />

: Mutinerie, Deuil du marin, Escaliers<br />

d’Odessa, Bombardement, Elan vers la liberté,<br />

enfi n, avec la fl otte de la mer Noire qui s’écarte<br />

pour laisser passer les mutins sans coup férir. Tout<br />

cela en dépit du fait que (selon Barna) Eisenstein<br />

improvisait le scénario au fur et à mesure...<br />

[…] Dans Le Cuirassé Potemkine, le landau<br />

qui dévale les escaliers, le cri de la nurse au<br />

lorgnon, l’éveil des lions, le drapeau rouge qui<br />

fl otte sur le navire.<br />

[…] Il est diffi cile de situer ces passages sans<br />

utiliser (à regret peut-être) la terminologie freudienne.<br />

Le Cuirassé Potemkine commence par<br />

la séquence des marins endormis dans leur hamac.<br />

Le public saisit là, et tout au long du fi lm,<br />

la vulnérabilité du corps humain (les hamacs<br />

sont comme des berceaux). […] Le but sublime<br />

de la révolution, que Lubitsch a traité comme<br />

creux et grotesque, était pour Eisenstein une<br />

aff aire sérieuse. La texture de l’image, pourtant,<br />

n’est fi nalement pas si diff érente chez les deux<br />

réalisateurs (leur sensualité, leur connaissance<br />

du type, leur amusement dans la satire).<br />

Comment juger enfi n ces fi lms ? Les années<br />

qui ont passé depuis 1917 nous ont permis de<br />

prendre la mesure de l’ « enchantement » révolutionnaire.<br />

Est-il possible encore de regarder<br />

Le Cuirassé Potemkine ou Octobre sans songer<br />

à l’imposture du communisme à l’époque<br />

de sa domination militante ? Pour un écrivain<br />

en exil comme Nabokov, par exemple, de tels<br />

fi lms étaient tout simplement des exemples de<br />

pochlos, de kitsch totalitaire. Les événements<br />

décrits sont-ils « vrais », et en quels sens ? Le<br />

réalisateur doit à coup sûr être libre d’interpré-<br />

ARTICLE DANS POSITIF<br />

106<br />

ter les événements d’une façon qui convienne<br />

à son art, mais on pourrait soutenir que la fi n<br />

brutale des deux récits, en arrêtant l’action de<br />

façon artifi ciellement précoce dans son développement,<br />

prive l’histoire de sa résonance<br />

tragique. Car, si les mutins du Potemkine ont<br />

eff ectivement bravé dans la mer Noire les canons<br />

des amiraux russes qui les attendaient, il<br />

n’en est pas moins vrai (comme le montre Richard<br />

Hough dans son excellent livre de 1966,<br />

The Potemkin Mutiny) que la mutinerie s’écroula<br />

ensuite dans une lamentable série de compromis<br />

triviaux, et que ses chefs furent pendus ou<br />

exilés.<br />

[…] Dire qu’Eisenstein ne sut manifester toute<br />

la vérité humaine (le pitoyable autant que le<br />

glorieux) des événements qu’il dépeignait, c’est<br />

dire seulement qu’il n’était alors ni Pasternak ni<br />

Shakespeare. Rappelons-nous seulement que<br />

le jour où, des années plus tard, l’occasion se<br />

présenta, Eisenstein fut aussi courageux qu’il le<br />

devait. Le Cuirassé Potemkine et Octobre sont<br />

à bien des égards des oeuvres grandioses, mais<br />

non de grands documents éthiques, comme<br />

Ivan le Terrible. Leur extraordinaire importance<br />

dans l’histoire du cinéma ne doit pas nous<br />

faire oublier, je pense, qu’incontestablement le<br />

grand fi lm d’Eisenstein est son dernier fi lm.<br />

Traduit de l’anglais par Alain Masson.<br />

<strong>Catalogue</strong> <strong>festival</strong>.indd 106 18/01/<strong>2012</strong> 02:06:58

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