Catalogue festival Guédiguian 2012 - Ciné Meaux Club
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UNE CRITIQUE SANS CLASSICISME<br />
Une des singularités de Positif à ses débuts aura<br />
été de heurter de front trois principes ordinaires<br />
du jugement cinématographique.<br />
D’abord en refusant quelques classicismes. Le<br />
premier, soutenu par le courant des ciné-clubs<br />
et la tradition communiste, opposait catégoriquement<br />
au « cinéma commercial » les « écoles<br />
» les plus explicitement « artistiques » : le<br />
cinéma soviétique, l’expressionnisme, quand<br />
ce n’était pas l’avant-garde française des années<br />
vingt ; une deuxième tendance, issue de<br />
l’héritage humaniste et chrétien, accordait la<br />
primauté à l’affl eurement de la spiritualité dans<br />
l’art, à Dreyer, à Bresson, à Rossellini, et le développement<br />
des interprétations humanitaires,<br />
parfois misérabilistes, du néoréalisme devait<br />
accentuer l’agacement de plusieurs à l’égard<br />
de cette mouvance intellectuelle ; le troisième<br />
mouvement, qui datait de la fi n de la Première<br />
Guerre mondiale, entreprenait, triant impitoyablement<br />
le bon grain et l’ivraie, de constituer<br />
la liste des classiques américains, sans grande<br />
considération pour la tradition et les réalités<br />
américaines, comme l’indiquait alors le slogan<br />
de la « politique des auteurs ».<br />
Ensuite, Positif a ignoré le messianisme cinématographique.<br />
Le cinéma n’a pas changé<br />
le monde, probablement moins que la télévision,<br />
par exemple. Il n’a pas démodé le<br />
langage, il n’a pas défi ni une civilisation de<br />
l’image, il n’a pas été le sacrement eucharistique<br />
des foWes internationales, il n’a tué ni<br />
le théâtre ni le roman, il n’a guère servi d’instrument<br />
à l’éducation des masses. Or toutes<br />
ces fonctions lui furent tour à tour promises<br />
par une longue liste de prophètes : Balasz, Eisenstein,<br />
Gance, L’Herbier, les « jeunes cinéastes<br />
» de diverses époques, Malraux, Rossellini.<br />
Enfi n, Positif n’a guère eu de liens privilégiés<br />
avec le milieu du cinéma français, ou avec l’une<br />
de ses tendances.<br />
En dépit des modifi cations, jamais révolutionnaires,<br />
qu’a connues cette revue, il n’est pas<br />
impossible d’écrire une partie de son histoire à<br />
partir de ces choix initiaux. L’hostilité au classicisme<br />
avait ses motifs politiques, mais elle<br />
exprimait aussi une impertinence, la volonté<br />
de ne pas s’en laisser conter, une rigueur dévastatrice.<br />
Contemporaine des essais littéraires<br />
de reconstruction du baroque, contemporaine<br />
du style vif et insolent qui triomphait chez les<br />
romanciers d’alors, elle tentait de mettre en va-<br />
POSITIF : 60 ANS DE CRITIQUE DE CINÉMA<br />
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leur un goût neuf, passionné, sincère, le plaisir<br />
de lancer des jugements, paradoxaux et excentrés,<br />
sans référence à une tradition. Ni bien sûr à<br />
une fonction du cinéma. Ni à une off ensive particulière<br />
dans le cinéma national. Cette attitude<br />
a entraîné beaucoup d’erreurs de jugement. Elle<br />
en entraîne encore. Mais la critique est à ce prix.<br />
Elle ne peut se borner à qualifi er les oeuvres en<br />
fonction de leurs précédents.<br />
Or les trois vides capitaux, fondateurs, continuent<br />
d’orienter la manière dont cette revue<br />
envisage le cinéma.<br />
Pour commencer : quelque intérêt qu’on lui porte,<br />
si convaincu qu’on soit de sa valeur propre,<br />
il n’apparaît jamais seul dans les quelque trente<br />
mille pages que nous avons noircies. Populaire,<br />
grecque, américaine, française, policière, latine,<br />
la littérature constitue ici un objet de référence<br />
constante. Non seulement à cause de notre pédantisme,<br />
mais aussi parce que, faute d’établir<br />
nos jugements actuels comme termes d’une<br />
longue chaîne de valeurs fi lmiques incontestables,<br />
nous devons placer le cinéma dans une<br />
tradition plus vaste, indéfi nie en somme. C’est<br />
ainsi également que des éléments politiques et<br />
moraux sont impliqués dans notre appréciation<br />
des fi lms, et singulièrement des fi lms français.<br />
La vivacité de ses préférences initiales a fait de<br />
Positif une revue excessivement discursive ; le<br />
retournement était inévitable : les classiques,<br />
après tout, c’est ce sur quoi on ne revient pas ;<br />
quant à nous, nous ruminons. C’est sans doute<br />
ce style cultivé qui a guidé l’intérêt récent de<br />
la revue vers un cinéma cultivé, enclin à jouer<br />
avec des formes issues de l’histoire de l’art<br />
plutôt qu’à saisir immédiatement la réalité. Le<br />
développement de ce cinéma, que déplorent<br />
certains critiques, est caractéristique de l’Europe<br />
actuelle.<br />
L’incertitude initiale a aussi entraîné une curiosité<br />
sur les perspectives les plus profondes et<br />
les plus lointaines. Libres de toute idée d’une<br />
évolution progressive du cinéma, peu soucieux<br />
de juger les fi lms à leur seule jeunesse,<br />
les amateurs qui ne se reposaient pas sur des<br />
grands classiques devaient devenir des curieux<br />
maladifs. S’interroger sur les conditions de production<br />
des fi lms d’autrefois et interroger les<br />
professionnels sur celles d’aujourd’hui. Griffi th,<br />
Capra, Chaplin ou Antoine nous intéressent<br />
autant que Wenders ou Scorsese. En Chine, en<br />
Turquie, en Hongrie, en Amérique latine, nous<br />
trouvons moins de quoi satisfaire un exotisme<br />
que des objets nécessaires à une exploration<br />
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