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Catalogue festival Guédiguian 2012 - Ciné Meaux Club

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dans la mesure où s’affi rme devant lui la possibilité<br />

de cet univers auquel il n’appartiendrait<br />

pas, que George Bailey le juge absurde.<br />

Plus précisément encore, ce monde possible<br />

l’exclut avec violence, poursuit de sa haine le<br />

George Bailey vague qu’il est devenu. Il doit<br />

s’enfuir, se retrouve sur le pont où il s’apprêtait<br />

naguère au suicide ; il prie Dieu de le<br />

faire émerger dans le réel, en une sorte de<br />

contre-suicide. Or le paradoxe semble être<br />

l’expression d’une tautologie : le monde de<br />

Pottersville semble moins bon à Bailey tout simplement<br />

parce qu’il ne lui ménage aucune place.<br />

Le scandale du monde sans Bailey s’exprime<br />

dans la mise en scène. Celle-ci dessine les<br />

choses à plus gros traits que dans le monde<br />

où Bailey est né : les enseignes sont plus lumineuses,<br />

la ville possède plus d’unité dans<br />

son commerce du vice qu’elle n’en présentait<br />

dans ses échanges vivants. <strong>Ciné</strong>matographiquement,<br />

les prises de vue sont plus éloignées,<br />

du moins en début de plan, tandis que les visions<br />

rapprochées sont parfois soulignées par<br />

des éclairages caricaturaux. Le jeu des acteurs<br />

est plus marqué, les foules sont plus monotones.<br />

Les personnages se confondent plus volontiers<br />

avec des types : la bibliothécaire doit<br />

être une vieille fi lle à lunettes et le barman doit<br />

être rogue, tandis que dans leur version réelle<br />

l’épouse était douée d’un charme peu conventionnel<br />

et la silhouette du garçon se trouvait<br />

à peine dessinée. Tout cela ne se résout pas à<br />

une trouvaille grammaticale : un récit à l’optatif<br />

moins grossier que la plupart. Ce style illustre<br />

avec force l’idée que celle des virtualités qui<br />

n’a pas été réalisée contient par essence moins<br />

d’être que le possible qui lui a été préféré et<br />

qu’à la supposer réelle on y constate un moins<br />

bon arrangement du faisable, qui a été visiblement<br />

simplifi é selon des lois appauvrissantes.<br />

George Bailey se trouve donc dans la position<br />

d’une essence qui serait consciente d’elle-même<br />

et aspirerait à l’existence, dont elle se sent<br />

parfaitement digne, face à ce Pottersville qui<br />

ne refl ète pas simplement la pingrerie de son<br />

maître, mais exprime une véritable avarice ontologique,<br />

puisque l’actualisation des possibles<br />

s’y est imposée sans égard à un principe qui<br />

en déterminerait la combinaison la plus riche,<br />

la plus parfaite. Ceci revient à dire que George<br />

Bailey se sent lésé de ne pas exister précisément<br />

parce qu’il existe, ce qui souligne qu’il est<br />

parfaitement possible. Leibniz remarquait que<br />

ARTICLE DANS POSITIF<br />

82<br />

« les choses possibles n’ont point de puissance<br />

pour se faire exister » : il est donc logique<br />

qu’une prière d’aveu soit nécessaire au retour<br />

de George à l’existence. Quant au caractère<br />

tautologique du principe, Leibniz l’avait également<br />

observé, notant que la proposition qui est<br />

« à l’origine du passage de la possibilité à l’existence<br />

» était indémontrable et comparable aux<br />

« identiques » (« A est A »). La Vie est belle illustre<br />

donc avec une naïveté, c’est-à-dire une précision<br />

d’enluminure, la thèse fondamentale du<br />

philosophe hanovrien : « tous les possibles tendent<br />

d’un droit égal à l’existence, en proportion<br />

de la quantité d’essence ou de réalité, c’est-àdire<br />

du degré de perfection qu’ils impliquent.»<br />

(Ces citations proviennent de Leibniz : les Deux<br />

labyrinthes, textes choisis par Alain Chauve.) La<br />

rencontre du cinéaste avec un philosophe que<br />

sans doute il n’a pas lu, ne doit pas tout au hasard<br />

: Capra retrouve l’inspiration du classicisme<br />

pour répondre à l’ambiance existentialiste. On<br />

est en droit de penser que c’est très vilain de sa<br />

part. Mais rien ne se prête moins à l’accusation<br />

de sentimentalisme moralisateur que cette pénétrante<br />

fable métaphysique.<br />

Deux mots encore, sur la mise en scène. Pourquoi<br />

la séquence où George Bailey constate<br />

le vide de sa maison, littéralement hantée par<br />

sa propre absence, possède-t-elle autant de<br />

force ? C’est par contraste. Car les cadrages de<br />

Capra, dans toute la partie réelle de la narration,<br />

sont dominés par des plans un peu trop rappro<br />

chés; les foules grouillent selon un savant désordre,<br />

chaque individu gardant son style pour<br />

exprimer une émotion collective ; tout vide<br />

semble même annoncer une catastrophe, tel<br />

le sol qui s’ouvre sous les pas d’un danseur<br />

étonné de jouir de tant d’espace. Toute intimité<br />

doit être contestée pour rester vivante<br />

: les gros plans, quand ils ne réunissent pas<br />

deux personnes, sont généralement assaillis<br />

par une voix venue de l’extérieur. La grande<br />

scène amoureuse, avant d’être interrompue par<br />

l’annonce d’un malheur, se déroule moins entre<br />

George et Mary, qu’entre George et un public<br />

virtuel auquel il fait appel pour dissimuler sa<br />

timidité devant la jeune fi lle ; un tiers ne tarde<br />

d’ailleurs pas à incarner ce public.<br />

Puis la disparition de Mary derrière un massif<br />

d’hortensias, compensant son dénudement<br />

sous la lune, se trouve immédiatement compensée<br />

par un surgissement. Cette fi gure, par<br />

laquelle une faille s’ouvre, puis la disparition<br />

<strong>Catalogue</strong> <strong>festival</strong>.indd 82 18/01/<strong>2012</strong> 02:06:52

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