Catalogue festival Guédiguian 2012 - Ciné Meaux Club
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très envie de les rendre heureux. La plus belle<br />
des récompenses serait que les arméniens revendiquent<br />
le fi lm.<br />
Entretien réalisé le 5 avril 2006<br />
par Stéphane Goudet.<br />
ARTICLE DE JEAN A. GILI PARU DANS POSITIF 545-<br />
546, JUILLET-AOÛT 2006<br />
Le Voyage en Arménie<br />
Qu’est-ce qu’un homme sans rêve ?<br />
Toute l’oeuvre de Robert <strong>Guédiguian</strong> à l’exception<br />
du Promeneur du Champ de Mars, est<br />
une célébration de Marseille, de ses quartiers,<br />
de son port, de ses rues. De l’Estaque aux îles<br />
du Frioul, le cinéaste est le poète d’une identité<br />
insaisissable, faite des mélanges de ses innombrables<br />
envahisseurs ou immigrants, des hommes<br />
venus de tous les bords de la Méditerranée.<br />
Une mosaïque originelle, condensée dans<br />
le couple Ariane Ascaride, d’origine napolitaine,<br />
et Robert <strong>Guédiguian</strong>, d’origine arménienne.<br />
Cette donnée multiculturelle allait tellement<br />
de soi que le cinéaste n’y avait jamais vraiment<br />
réfl échi, jusqu’à ce voyage à Erevan qui lui renvoie<br />
une interrogation à laquelle il sent soudain<br />
la nécessité d’apporter une réponse. Le<br />
Voyage en Arménie de la protagoniste Anna,<br />
ici fi lle d’une mère italienne et d’un père arménien,<br />
est donc une manière de plongée dans le<br />
pays des ancêtres, là où s’est constitué un peu<br />
de ce que l’on est, un peu de la conscience que<br />
l’on a de soi-même.<br />
Lorsque le vieux père malade décide de repartir<br />
dans son pays natal pour y mourir en paix, sa<br />
fi lle s’inquiète et se lance à sa recherche pour<br />
le ramener en France et confi er son coeur aux<br />
chirurgiens. Commence alors une folle aventure<br />
qui doit permettre à la Marseillaise de<br />
prendre en une semaine la mesure d’un pays<br />
et d’un homme. Ainsi, le fi lm se déploie simultanément<br />
sur la double ligne de la fi ction romanesque<br />
et du documentaire d’apprentissage :<br />
un pays panse ses plaies et essaie de s’inventer<br />
un avenir. Les multiples occupations étrangères,<br />
le génocide de 1915, le joug soviétique, le<br />
tremblement de terre de 1988, la redéfi nition<br />
des frontières qui a fait de l’Arménie un Etat<br />
résiduel coincé entre les pays qui se sont emparés<br />
de ses provinces : la Turquie, la Géorgie,<br />
l’Azerbaïdjan, l’Iran, tout concourt à une situa-<br />
ARTICLE DANS POSITIF<br />
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tion où règnent frustrations, échappatoires,<br />
corruption : des voyous prospèrent sur un sol<br />
où comme dans un pays du tiers monde la<br />
nourriture, les carburants, les armes, les médicaments<br />
même, deviennent objets de trafi cs.<br />
Anna découvre la pauvreté et les rêves de fuite<br />
vers l’Europe occidentale ou les États-Unis, des<br />
lieux perçus comme des pays de cocagne. La<br />
petite coiff euse à la moue séductrice est prête<br />
à tout pour gagner l’argent qui lui permettra<br />
d’émigrer : danser nue dans une boîte de nuit<br />
ou courir le risque de servir de passeur à des<br />
trafi quants. <strong>Guédiguian</strong> prend un évident plaisir<br />
à montrer ce pays qu’il ne connaissait pas,<br />
à s’attarder sur de vieilles femmes qui préparent<br />
le pain, ou à distiller les paysages urbains<br />
d’Erevan et les perspectives campagnardes,<br />
entre sécheresse et verdure pour ce « pays des<br />
cailloux ». Il joue même du plaisir inattendu de<br />
faire d’Ariane Ascaride une tireuse d’élite qui se<br />
défait de trois loubards en les blessant au bras,<br />
au pied, à la cuisse, ou de transformer un de ses<br />
acteurs familiers, Gérard Meylan, en Arménien<br />
qui a fui Marseille (dont il a conservé l’accent<br />
ensoleillé) à la suite d’actes délictueux et qui est<br />
devenu général de l’armée arménienne, une<br />
sorte de héros vénéré par tout le monde. Ainsi,<br />
Anna est prise en charge par un père de substitution,<br />
un vieux chauff eur de taxi qui lui sert<br />
de guide et lui apprend la langue, et un mari<br />
de substitution, un militaire philosophe qui<br />
compose avec les escrocs dans le seul espoir de<br />
faire bouger les choses et d’ouvrir son pays au<br />
progrès. C’est lui qui fait découvrir à Anna les<br />
églises arméniennes et le berceau d’un peuple<br />
dans une crypte précieusement conservée et<br />
vénérée. Car les peuples martyrs, au-delà de<br />
la diaspora que leur a imposée l’histoire, ont<br />
besoin de lieux symboliques dans lesquels<br />
puisse s’incarner la force identitaire qui aide à<br />
surmonter le malheur et à conserver le regard<br />
clair vers le futur. La jeune fi lle écervelée, toute<br />
tendue par son désir de partir en France avec<br />
Anna, rencontre un garçon dont elle s’éprend<br />
et se fi ance dans la pénombre d’une crypte, là<br />
encore un ré-enracinement identitaire à valeur<br />
de symbole. Ce peuple-là se reconnaît dans<br />
son passé et dans son avenir, ce peuple que<br />
nourrit le rêve de célébrer sa montagne tutélaire,<br />
ce mont Ararat où se posa l’arche de Noé,<br />
aujourd’hui en territoire turc. Mais ce rêve inaccessible<br />
n’est-il pas le meilleur horizon pour une<br />
nation en train de se reconstruire ?<br />
<strong>Guédiguian</strong> joue des multiples codes du spec-<br />
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