Catalogue festival Guédiguian 2012 - Ciné Meaux Club
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d’un septennat dont les derniers mois deviennent<br />
un calvaire ne sont que la conséquence<br />
d’une idée de soi qui permet d’aff ronter sans<br />
sourciller et peut-être avec la jouissance du<br />
dépassement toutes les souff rances de la maladie,<br />
toutes les limitations à l’exercice normal<br />
de la fonction. Mitterrand compte les jours qui<br />
le séparent de la fi n de son mandat ; il attend la<br />
délivrance et essaie désespérément de retenir<br />
le moment unique d’un pouvoir porté à son niveau<br />
de quintessence et de jouissance. Après<br />
lui, les présidents ne seront plus les mêmes,<br />
l’Europe en marche réduira leur autorité, et,<br />
bien qu’ils soient de gauche, ils ne seront jamais<br />
que des suiveurs en comparaison de l’immense<br />
capitaine qui fi t triompher le projet socialiste<br />
et gouverna la France pendant quatorze ans. À<br />
un certain degré de puissance ou de notoriété,<br />
un homme se dédouble, il est lui-même et son<br />
propre observateur dans l’exaltation de l’ego.<br />
En vieillissant, Mitterrand était ainsi devenu<br />
une image, une icône presque, un homme de<br />
petite taille au long pardessus et au feutre noir,<br />
raidi de souff rance et de majesté. À cet égard,<br />
la séquence de Hénin-Liétard, où le président<br />
s’adresse aux ouvriers pour dire la force de ses<br />
idées de justice sociale, prend un relief saisissant<br />
dans la lumière froide dont Renato Berta<br />
nimbe la scène.<br />
Pour tenir le spectateur pendant près de deux<br />
heures devant un spectacle dans lequel il ne se<br />
passe quasiment rien et dont la fi n est connue,<br />
il fallait beaucoup d’habileté et surtout de<br />
confi ance dans la tension engendrée par cet<br />
homme face à la mort qui approche. Il est vrai<br />
que le spectacle d’une disparition prochaine<br />
est peut-être « la» tragédie par défi nition. Le cinéaste<br />
est le premier témoin, puisque le narrateur<br />
du livre n’est plus l’observateur qui raconte<br />
son expérience ; il devient ici un personnage<br />
du récit, sa fonction initiale disparaît dans une<br />
présence à l’image qui en fait un co-protagoniste.<br />
Habileté du scénario par rapport au livre<br />
de Georges-Marc Benamou, le bourgeois déjà<br />
installé disparaît au profi t d’un jeune journaliste<br />
de condition modeste, et dont les beauxparents<br />
sont communistes (occasions d’empoignades<br />
lors des déjeuners dominicaux).<br />
Antoine se construit au contact du vieil homme<br />
de l’Élysée. Entre eux se développe un rapport<br />
d’échange, ou plutôt de transmission : l’un parle<br />
et l’autre écoute, au cours d’innombrables promenades<br />
ou déplacements en voiture, en train,<br />
ARTICLE DANS POSITIF<br />
47<br />
en hélicoptère pour admirer la Beauce et évoquer<br />
Péguy en survolant la cathédrale de Chartres,<br />
thème récurrent de l’amour du président<br />
pour la littérature, avec, en fi ligrane, l’idée que<br />
les hommes d’État, comme ultime stade de leur<br />
ambition, rêvent d’être des artistes. Ces longues<br />
conversations d’un péripatéticien qui s’assume<br />
comme tel, même dans ses caprices ressemblent<br />
à un roman d’éducation, une maïeutique:<br />
un vieillard off re son savoir, son expérience,<br />
ses souvenirs, à un jeune garçon qui cherche à<br />
comprendre, à débusquer le mensonge, à cerner<br />
une personnalité fuyante, imprévue, une<br />
personnalité — suprême arrogance — qui se<br />
veut unique, y compris dans sa structure mentale.<br />
Curieusement, <strong>Guédiguian</strong> termine son fi lm<br />
sur un symbole de la pensée traditionaliste :<br />
un tronc d’arbre, dans les Landes, entrevu à<br />
travers la fenêtre du moribond, un pin rugueux<br />
qui se dresse et lance ses branches vers le ciel.<br />
Et plus ou moins consciemment, la boucle se<br />
referme : Mitterrand, qui se forgea dans les milieux<br />
maurrassiens de la France des années 30,<br />
qui ne parvint jamais à se défaire tout à fait des<br />
soupçons à propos de ses liens avec Vichy, qui<br />
réussit à construire l’Union de la gauche et à<br />
remporter les élections présidentielles de 1981<br />
et de 1988, Mitterrand approche de son terme<br />
en contemplant une image de la pérennité du<br />
conservatisme...<br />
Jean A. Gili<br />
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