Catalogue festival Guédiguian 2012 - Ciné Meaux Club
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dans toutes les langues et ceux qui ont basculé<br />
dans celle du crime.<br />
En retrait de ces héros de terrain, le fi lm cadre<br />
Yves qui se délecte d’une lucidité complice<br />
d’un désenchantement politique dont il profi<br />
te. II fait, dit-il, un métier « d’esthéticien de la<br />
ville » et en vit bien. Viviane, sa femme, se détourne<br />
de cette mauvaise foi et travaille avec<br />
des handicapés ou dans les prisons. Sortant<br />
des Baumettes, Abde la revoit. Abde a l’intelligence<br />
des situations. Avec la bourgeoise, avec<br />
les rappeurs, les copains de la cité, il pose les<br />
questions éveilleuses. Dans un tissu social qui<br />
se calcifi e et exclut, il est la molécule mobile qui<br />
peut changer la vie. C’est un trop beau personnage.<br />
La conquête de Gérard, qui pérore contre<br />
l’avortement et qui défend l’héritage de la race,<br />
ou le mari, épave de Michèle, sont des repoussoirs<br />
trop déplaisants. Soit.<br />
La structure de La Ville est tranquille ne se limite<br />
pas à l’entrelacs habile de trajectoires héroïques.<br />
La tragédie y impose sa progression.<br />
En premier, vient la décomposition. Décomposition<br />
chez les travailleurs (Paul lâche ses camarades<br />
pour la solution individuelle). Décomposition<br />
dans les cités (désunion chez Michèle,<br />
drogue, racisme des jeunes Maghrébins et des<br />
Français « de souche »). Décomposition du couple<br />
bourgeois, enfi n. Articulé sur l’errance de<br />
Paul, le second temps est celui de la chute. Michèle<br />
descend jusqu’à Gérard, s’abaisse jusqu’à<br />
faire les piqûres à sa fi lle, à se vendre à la sortie<br />
du travail. Aff aissement généralisé, condensé<br />
dans la réunion minable des militants de la préférence<br />
nationale. Pourtant adviennent d’infi -<br />
mes notes optimistes, le billet que Gérard laisse<br />
au pianiste, la visite de Viviane à Abde, le geste<br />
de Paul qui remplit le réservoir vide de Michèle.<br />
Et surtout la main tendue de Paul qui la relève<br />
lorsque, humiliée, elle est tombée sur le quai.<br />
Pauvres lueurs au regard de la déchéance. Michèle<br />
craque, et, privé de sa licence, Paul est<br />
tenté de voler ses parents. Tout droit sorti de<br />
la mythologie marseillaise, René, ex-résistant,<br />
homme de coups tordus (il envoie Gérard éliminer<br />
le notable), l’enfonce dans l’échec : à<br />
cause de sa « mentalité d’ouvrier », il est fatal<br />
que Paul soit un perdant. Dans le cloaque, <strong>Guédiguian</strong><br />
voit la mort, « tout ce sang » qui a obsédé<br />
Gérard. II fi lme le meurtre d’Abde par des<br />
colleurs d’affi ches racistes, le « Merci maman »<br />
de la fi lle de Michèle recevant l’overdose des<br />
mains maternelles, et le suicide de Gérard. Si la<br />
ARTICLE DANS POSITIF<br />
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catharsis grecque purgeait la terreur, ces défl agrations<br />
ne nous en libèrent pas. Le cinéaste<br />
profi te de notre épouvante pour réinventer<br />
l’utopie du peuple unanime. Des livreurs de<br />
piano fascistes à la foule pluriethnique, tous<br />
communient avec la musique, moment de poésie<br />
où subitement la ville est tranquille.<br />
L’art de Robert <strong>Guédiguian</strong> découle de cette exigence<br />
fusionnelle d’où vient sa force pour envisager<br />
et dévisager son contraire. Qui lui souffl e<br />
que, même gentil, un truand vous aborde toujours<br />
dans le dos. Qui, loin du souci réaliste, le<br />
pousse à aff abuler, à aimer les gros mensonges<br />
de Paul, les rêves de Michèle et l’invraisemblable<br />
tableau d’aristocrate campagnard qu’elle a<br />
chez elle. Qui lui inspire le motif central de son<br />
fi lm : les mains d’Ariane (Michèle), glacées au<br />
travail, douces pour le bébé, fermes quand elles<br />
manipulent la poudre. Des mains qui saisissent<br />
la main tendue de Paul.<br />
Françoise Audé<br />
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