03.07.2013 Views

Catalogue festival Guédiguian 2012 - Ciné Meaux Club

Catalogue festival Guédiguian 2012 - Ciné Meaux Club

Catalogue festival Guédiguian 2012 - Ciné Meaux Club

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

L’exigence de libération du vécu se réalise en<br />

quelques gestes. Malheureusement la version<br />

présentée dans les salles en a perdu un grand<br />

nombre. Il faudra tout de même que les producteurs<br />

et les distributeurs comprennent un jour<br />

que certaines coupures créent des longueurs,<br />

en rendant inintelligible le dessein de l’auteur.<br />

C’est ici le cas. Une longue séquence a été supprimée,<br />

qui se situe entre l’achat de la voiture<br />

verte et la soirée dans la boîte de jazz. On y voit<br />

Jimmy Doyle faire une scène dans une boîte de<br />

nuit médiocre et prétentieuse, off rir à sa femme<br />

une pleine automobile de fl eurs. On y voit<br />

aussi Francine Evans se regarder anxieusement<br />

dans un miroir. Cette séquence est donc celle<br />

où apparaît le mieux la volonté de Scorsese de<br />

faire sortir ses personnages d’une psychologie<br />

prévisible et convenue. Mais surtout c’est en<br />

elle que s’établit le mieux une insistance de la<br />

forme sur l’étrangeté de la passion. La scène de<br />

l’esclandre, exceptionnellement lumineuse, et<br />

d’un chromatisme particulièrement hardi, réussit<br />

parfaitement à échapper à toute convention<br />

sans tomber dans la confusion. La scène où<br />

Francine se regarde en très gros plan dans un<br />

miroir rappelle le moment où elle avait aperçu<br />

son mari à la porte en accrochant le même miroir,<br />

mais son regard calme et impénétrable<br />

annonce celui qu’elle jettera à Doyle, toujours<br />

entrevu dans un miroir, lors de leur dernière<br />

rencontre. Dans le reste du fi lm cette mise en<br />

oeuvre de la violence des passions affl eure plus<br />

rarement : la rencontre de Jimmy avec Francine<br />

fait jouer en ce sens les brutales entrées dans<br />

le champ du jeune homme ; sa femme lui annonce<br />

qu’elle est enceinte au bas d’un escalier<br />

sombre, et il se met à sauter en le remontant ;<br />

auparavant il avait cassé une vitre en réveillant<br />

un juge pour lui demander de les marier. Mais<br />

c’est surtout le jeu des acteurs et notamment<br />

de De Niro qui est chargé de donner le sentiment<br />

d’une profondeur. L’idée de faire entrer en<br />

scène De Niro dans les fonctions d’un dragueur<br />

est à cet égard tout à fait signifi cative et effi -<br />

cace ; l’agacement qui accompagne inévitablement<br />

cette pratique, pour peu qu’on soit<br />

sensible au point de vue des dragués, devient<br />

le signal qui annonce la gesticulation<br />

de l’acteur, inépuisable et épuisante. Sans<br />

cesse en mouvement, et toujours avec des<br />

mouvements neufs. Chaque geste entraîne<br />

l’ensemble du corps, mais les décisions imprévues<br />

qui aff ectent une action déjà commencée<br />

interdisent au délié de détacher chaque<br />

ARTICLE DANS POSITIF<br />

93<br />

geste : il ne va jamais sans une légère saccade<br />

; le corps ne s’intègre donc au mouvement<br />

que d’une manière provisoire, rapidement<br />

contredite. Bien entendu, il se produit ainsi une<br />

dépense considérable, dont le rendement reste<br />

très faible, ce qui accentue les aspects formels<br />

du geste. Il faut admirer un acteur capable de<br />

fournir une performance si diff érente de son<br />

jeu dans The Last Tycoon où le contrôle intérieur<br />

arrêtait avec précision les limites de chaque<br />

geste, de sorte qu’ils se détachaient sans discontinuité,<br />

et que leur ampleur et leur justesse<br />

leur donnaient une réalité presque indépendante<br />

du corps qui les produisait.<br />

Une forme nette, marquée, neuve est donc<br />

chargée de transformer les allusions au genre,<br />

de souligner le vécu et de joindre l’élément allusif<br />

et l’élément vécu. Mais cette tentative n’est<br />

pas parfaitement réussie. L’alternance systématique<br />

de séquences dominées par le noir et les<br />

couleurs sombres avec leur moire profonde et<br />

de séquences brunes, grises et jaunes qu’entoure<br />

un lustre fauve constitue sans doute une<br />

forme intéressante : avec une commune intensité,<br />

elles traduisent l’opposition de l’illusion et<br />

du réel, Mais c’est aussi une forme trop forte,<br />

elle interdit toute vie véritable. L’admirable séquence<br />

initiale, avec sa stylisation globale des<br />

costumes et des décors, accentuée par la netteté,<br />

on dirait volontiers la détermination et la générosité<br />

des mouvements d’appareil, présente<br />

successivement les rues dominées par le kaki<br />

des militaires, puis la salle art déco au dernier<br />

étage dans la nuit, avec ses noirs brillants et le<br />

scintillement de toute une ville. Beau contraste,<br />

mais un seul élément échappe à cette stylisation<br />

totalitaire : la chemise délirante de Jimmy<br />

Doyle. Ce déséquilibre vaut pour l’ensemble du<br />

fi lm.<br />

La construction dramatique est pourtant d’une<br />

fermeté remarquable. Comme dans son Taxi<br />

Driver, Scorsese prépare progressivement un<br />

paroxysme particulièrement violent, constitué<br />

par la scène qui précède l’accouchement ; après<br />

quoi, il ajoute un épisode relativement atone et<br />

banal, les carrières ascendantes des héros, traitées<br />

en une séquence synthétique particulièrement<br />

riche et particulièrement souple. A cette<br />

construction s’ajoute un eff et de circularité. Les<br />

rues désertes, avec le gros plan sur les chaussures,<br />

à la fi n, répondent aux rues surpeuplées<br />

avec le gros plan sur les chaussures, au début.<br />

La séquence synthétique sur les carrières répond<br />

à la séquence synthétique sur la tournée<br />

<strong>Catalogue</strong> <strong>festival</strong>.indd 93 18/01/<strong>2012</strong> 02:06:55

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!